Byzance
Haraldr crut qu’il n’avait jamais rien vu de plus beau que les croix d’or brodées sur l’étole du prêtre. Mais le prêtre avançait à une lenteur affolante. Il donna des pièces à chacun des interrogateurs et les bénit de sa croix rehaussée de pierreries. Ils s’inclinèrent et reculèrent : au cours de leur endoctrinement, on leur avait montré Sainte-Sophie, et ils n’avaient donc aucun désir d’offenser l’un de ces sorciers capables de construire un pont dans le ciel avec de l’or fondu.
La vieille nonne s’avança elle aussi, en baissant son affreux visage voilé et couvert de croûtes pour ne pas voir la tête ensanglantée de Haraldr et son corps sale, presque nu. Le prêtre se mit à psalmodier et s’agenouilla aux pieds de Haraldr. Haraldr ne comprit pas pourquoi il tirait sur l’une des grosses courroies qui fixaient les chaînes à ses chevilles. Il baissa les yeux vers ses pieds. Le prêtre, qui chantait ses patenôtres avec une ardeur rageuse, tenait un poignard dans ses mains desséchées, pareilles à celles d’un cadavre. Et il sciait les courroies. Haraldr, horrifié, se tourna vers les deux Petchenègues. Ils étaient en train de faire briller leurs pièces d’argent, puis ils les tendirent vers les lampes à huile pour s’amuser de leurs reflets. Qui était cet improbable sauveteur ? Si seulement il parvenait à lui libérer les jambes avant que les Petchenègues ne cessent de s’intéresser à leur richesse de fraîche date. La vieille femme le regardait : elle avait forcé ses yeux couverts de croûtes à s’ouvrir…
Saint Père ! Ne les revoir qu’une fois, même s’il lui fallait mourir de suite. Deux saphirs pleins de feu. Il articula son nom malgré sa langue gonflée.
Les épaules de Maria frissonnèrent et ses yeux s’emplirent de larmes, mais elle se ressaisit aussitôt. Elle lança un coup d’œil aux Petchenègues et se plaça dans le dos de Haraldr. Le prêtre venait de couper une des lanières. Les poignets de Haraldr étaient ligotés par des cordes, et Maria se mit à les trancher. L’un des Petchenègues, distrait de sa pièce, plissa les yeux et appela son compagnon. Ils s’avancèrent, nullement inquiets, et lancèrent un regard étrange au prêtre. Haraldr projeta sa jambe libérée vers le haut et son pied s’écrasa sur le crâne du petit Petchenègue ; l’homme tomba comme un ivrogne. Le deuxième bourreau courut vers les portes d’acier mais Maria se jeta sur lui et lui plongea son poignard dans le dos. Les bras du Petchenègue se soulevèrent brusquement, il se retourna et lança à la femme un regard stupéfait. Avant de s’effondrer, il poussa un cri. Haraldr se mit à tirer avec l’énergie du désespoir et les liens de ses poignets se détachèrent. La porte s’ouvrit, un des gardes passa la tête. Maria le poignarda mais son arme glissa sur la plaque pectorale. Haraldr bascula en avant, la tête la première, dès que son poignet se libéra ; le prêtre qui n’avait pas cessé de scier les lanières de la deuxième cheville s’écroula sous lui, mais Haraldr avait les bras libres. Les muscles de ses épaules frissonnèrent et il se sentit possédé par la Rage d’Odin. Il bondit sur ses pieds, frappa le garde de son bras encore engourdi et le projeta contre le mur. Le prêtre se remit sur pied non sans mal, et Haraldr reconnut Siméon, l’eunuque de Zoé.
Un autre garde voulut jeter un coup d’œil dans la salle des interrogatoires, et Haraldr referma la porte d’acier sur sa tête. Le visage du Petchenègue explosa de sang et Haraldr tira son corps inerte à l’intérieur, ôta l’épée de sa ceinture, repoussa les portes et affronta les quatre hommes qui restaient. Haraldr, la tête balayée par les vents hurlants du monde de l’esprit, ne fut même pas conscient de la façon dont il les abattit. Il retourna ensuite dans la salle des interrogatoires pour trancher méthodiquement la gorge des hommes qu’il avait laissés inconscients. Il regarda Maria qui, son poignard sanglant à la main, contemplait à demi consciente le spectacle affreux de leurs retrouvailles. Puis il l’embrassa.
— Dieu, je suis heureux de ne pas être mort avant cet instant, lui dit-il.
Haraldr, reconnaissant, se retourna vers l’eunuque Siméon au visage d’acier et se demanda comment un homme sans testicules pouvait avoir autant de courage.
— Siméon, il faut que vous descendiez tout de suite avec Maria, avant que l’on
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