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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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cependant, n’atténuent pas son sentiment de
défaite. D’impuissance devant la porte qui vient de se fermer : obscure,
incertaine, à peine une fente ; mais qui, jusqu’aujourd’hui, lui laissait
l’espoir de distinguer, tout au fond, une étincelle de lumière. De trouver la
combinaison maîtresse qui permet au joueur patient d’enfoncer ses pièces au
plus profond de l’échiquier.
    Le bruit qui se répand soudain dans l’air, semblable à celui
d’une toile qu’on déchire, fait sursauter le policier au moment où il rejoint
la rue plongée dans l’ombre. Il se retourne pour voir d’où vient ce bruit, et,
à cet instant, le couloir de la maison projette au-dehors un éclair de couleur
orange qui illumine brièvement le porche et la rue, charriant avec lui une
pluie de poussière et de gravats. La détonation résonne immédiatement,
ébranlant tout. Commotionné par l’onde d’expansion – les tympans le font
souffrir comme s’ils étaient crevés –, Tizón titube et lève les bras en
tentant de se protéger des fragments de plâtre et de verre qui ricochent de
tous côtés. Au bout de quelques pas, il tombe à genoux dans la poussière
épaisse qui le fait suffoquer. Le temps de recouvrer sa lucidité, il sent
quelque chose de chaud et de visqueux collé à son cou, et il le détache
violemment, avec, à la dernière seconde, la subite appréhension qu’il puisse
s’agir d’un lambeau de son propre corps. Mais ce qu’il a dans la main est un
morceau d’intestin collé à la queue d’un chat.
    Il y a des petits points rouges dispersés par terre aux
alentours : des fragments tordus et incandescents qui s’éteignent
rapidement en refroidissant. Des tire-bouchons en plomb. Encore étourdi, Tizón
se penche machinalement pour en cueillir un, mais le lâche aussitôt, car le
métal lui brûle la main. Quand ses oreilles cessent de siffler et qu’il scrute
l’obscurité autour de lui, ce qui l’impressionne le plus, c’est le silence.
     
    *
     
    Le lendemain, en manches de chemise avec son tablier en
toile cirée et tenant un pigeon à deux mains, Gregorio Fumagal va vers le côté de
la terrasse qui donne au levant et promène un regard prudent sur les alentours.
Avec le beau temps et la surpopulation, les terrasses de nombreuses maisons
sont devenues des lieux de campement où, sous des tentes faites de toiles et de
voiles de bateau, des familles entières vivent à la façon des nomades. C’est,
comme ailleurs, le cas de la rue des Écoles, où Fumagal est propriétaire de
l’étage supérieur de la maison qu’il habite. Pour des raisons élémentaires de
discrétion, le taxidermiste ne loue pas sa terrasse ; mais sur certaines
des plus proches où vivent des émigrés, il est fréquent de voir des gens
désœuvrés exercer leur curiosité à toutes les heures de la journée. Cela oblige
à la prudence ; cette même prudence qui, lorsqu’il a commencé à entretenir
une correspondance clandestine avec l’autre rive, l’a fait se séparer de la
domestique qui s’occupait de la maison. Désormais, il se livre lui-même aux
tâches ménagères, déjeune le matin d’un bol de lait avec de la mie de pain et
mange tous les jours à la taverne de la Perdrix, rue des Carmes Déchaux, ou à
celle de la Terrasse, entre le coin de rue de la Balle et l’arc de la Rose.
    Personne en vue. Protégé des regards indiscrets par le linge
tendu, et après avoir vérifié que le petit tube du message est bien fixé avec
un cordonnet de soie à une plume de la queue, Fumagal lâche le pigeon qui
tourne un moment en gagnant de la hauteur et s’éloigne entre les tours, en
direction de la baie. D’ici quelques minutes, le message qui détaille les lieux
de chute des dernières cinq bombes tirées depuis la Cabezuela sera dans des
mains françaises. Ces mêmes lieux se trouvent déjà marqués sur le plan de Cadix
où s’épaissit un peu plus chaque jour la trame de lignes au crayon qui, en
forme d’un éventail dont la base est orientée vers l’est, se déploie sur la
ville. Sur ce plan, les points qui indiquent la portée maximale des bombes ont
avancé d’un pouce vers l’ouest : il y en a un sur la côte de la Murga et
un autre au carrefour des rues San Francisco et de l’Ancienne Douane. Cela,
sans les vents forts qui rallongeraient la trajectoire. Les choses doivent
pouvoir s’améliorer avec l’arrivée du levant, plus rude. Peut-être.
    Gregorio Fumagal nourrit les

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