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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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reçoit
autant qu’il donne. Il a commencé hier très tôt, quand, mettant fin aux rumeurs
adverses d’un débarquement espagnol à Algésiras et d’actions de bandes
irrégulières entre la côte et Ronda, les guérillas ont traversé le canal de
l’île de Léon et attaqué les positions avancées françaises proches de Chiclana.
L’action, dirigée surtout contre l’auberge de l’Olivar et la maison de la
Soledad, a été appuyée par les chaloupes canonnières de Zurraque, Gallineras et
Sancti Petri, qui se sont enfoncées dans les étiers en entretenant un feu
nourri. Celui-ci s’est répandu le long de la ligne à mesure que, des deux
côtés, se déclenchaient les tirs de contrebatterie sur les positions ennemies
et s’est terminé en bombardement généralisé, y compris après le repli des
Espagnols ; lesquels, après avoir détruit et tué tout ce qu’ils pouvaient,
sont repartis en emmenant prisonniers et armements, en enclouant les canons et
en faisant sauter les dépôts de matériel et de munitions. Les guérillas,
d’après ce que rapportent les éclaireurs qui ont ordre de patrouiller le long
du front, ont repassé le canal ce matin au lever du jour, en attaquant les
retranchements avancés de la saline de la Polvera et les moulins d’Almansa et
de Montecorto ; et, à cette heure, on s’y bat toujours, pendant que toute
la partie orientale de la baie poursuit la canonnade. La situation est si
critique que le capitaine Desfosseux lui-même, exécutant les ordres supérieurs,
a dû s’occuper de diriger le feu des batteries conventionnelles de la Cabezuela
et du fort Luis sur le fort espagnol de Puntales, qui se trouve à moins de
1 000 toises, sur la barrière de récifs qui ferme la baie dans sa
partie la plus étroite, face au Trocadéro.
    Les détonations font trembler le sol et ébranlent les
parapets de planches, de sacs de sable et de fascines. Accroupi derrière, regardant
avec une longue-vue par une meurtrière, Desfosseux maintient la lentille à une
distance raisonnable de son œil droit, depuis qu’un impact d’artillerie qui a
tout fait vaciller a failli la lui enfoncer dans le globe oculaire. Cela fait
un jour et demi qu’il n’a pas dormi, qu’il n’a mangé que du pain de munition
rassis et dur, et qu’il n’a bu que de l’eau boueuse : car avec le
bombardement qui a couché plusieurs soldats, les tripes à l’air, aucun fourrier
ne prend le risque de se déplacer à découvert. Le capitaine est sale, suant, et
une couche de poussière soulevée par les explosions lui couvre les cheveux, le
visage et les vêtements. Il ne peut pas se voir, mais il lui suffit de jeter un
coup d’œil sur n’importe lequel de ceux qui l’entourent pour savoir qu’il a le
même aspect hâve, affamé et misérable, les yeux rougis pleurant de la poussière
liquide qui laisse des sillons sur les faces transformées en masques de terre.
    Le capitaine dirige la longue-vue sur Puntales, petit et
compact derrière ses murs assis sur les rochers noirs du récif que la marée
descendante commence à découvrir. Vu de ce côté de la frange d’eau, flanqué à
un mille et demi à droite de l’énorme fortification de la Porte de Terre et à
gauche de la non moins solide et impressionnante Coupure, le fort espagnol
ressemble à la proue d’un navire obstiné et immobile, avec les six meurtrières
de la partie frontale et leurs canons orientés vers le point d’où Desfosseux
les observe. Par intervalles, avec une régularité méthodique, une de ces
meurtrières crache un éclair et, quelques instants après la détonation, arrive
l’explosion d’un projectile ennemi, grenade ou boulet de fer massif, frappant
la batterie française. Les artilleurs français ne restent pas non plus les bras
croisés, et le feu régulier des canons de siège de 24 et 18 livres, et des
obusiers de 8 pouces fait voler de la terre et des pierres à chaque impact
sur le fort espagnol, voilant par moments le drapeau qui flotte au sommet comme
un défi – les défenseurs en hissent un nouveau tous les quatre ou cinq
jours, quand le précédent n’est plus qu’une loque déchiquetée par la mitraille.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le capitaine admire, de professionnel à
professionnel, le solide savoir-faire des artilleurs de l’autre bord. Forts de
dix-huit mois de bombardements réciproques, ils ont acquis une adresse et une
ténacité à toute épreuve. Cela semble naturel à Desfosseux

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