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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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chez les
Espagnols : paresseux, indisciplinés et manquant de fermeté en terrain
découvert, ils sont audacieux quand la colère ou la passion de tuer les
emporte, et leur caractère obstiné et fier les rend terribles dans la défense.
Ils oscillent ainsi continuellement entre leurs revers militaires, leurs
absurdités politiques et leurs aberrations religieuses d’une part, et le
patriotisme aveugle et sauvage, la constance quasi suicidaire et la haine de
l’ennemi d’autre part. Le fort de Puntales en est un exemple évident. Sa
garnison vit enterrée sous un bombardement français continu, mais ne cesse pas
pour autant de rendre, implacable, bombe pour bombe.
    À cet instant, il en tombe une dans le retranchement
contigu, près des canons de 18 livres. C’est une grenade noire – on
l’a presque vue arriver dans l’air – qui frappe le bord du parapet
supérieur et roule au pied d’un épaulement de terre et de sacs, en laissant
derrière elle la traînée de fumée de son espolette sur le point d’exploser. Le
capitaine, qui s’est légèrement redressé pour voir où elle tombait, entend les
cris des artilleurs de la pièce la plus proche, qui se jettent à plat ventre
sur le plancher supportant les affûts ou s’abritent où ils peuvent. Puis,
tandis qu’il baisse la tête et se recroqueville à côté de sa meurtrière,
l’explosion de la charge fait trembler le retranchement, et une volée de terre,
de débris et d’éclats se répand de toutes parts. La terre retombe encore quand
il perçoit un hurlement déchirant et interminable. Relevant la tête, le
capitaine voit des hommes courir vers celui qui crie : un artilleur dont
le moignon d’une cuisse – le reste de la jambe s’est volatilisé –
répand un flot de sang.
    — Pas de pitié pour ces bandits ! crie le
lieutenant Bertoldi, qui se jette au milieu des artilleurs pour les stimuler.
Œil pour œil !… Vengeons notre camarade !
    Les braves garçons, se dit Desfosseux, en voyant les soldats
se presser autour des canons, charger, pointer et tirer de nouveau. Avec tout
ce qu’ils endurent ici et tout ce qui les attend, ils sont encore capables de
s’encourager les uns les autres, forts de la résignation stoïque devant
l’inévitable qui caractérise le soldat français. Même après un an et demi
d’enlisement dans ce pourrissoir destructeur de vies et d’espérances qu’est
Cadix, trou du cul de l’Europe et ulcère de l’Empire, avec cette maudite
Espagne rebelle réduite à une île imprenable.
    La canonnade est maintenant furieuse dans le retranchement,
augmentant sa cadence – il faut garder constamment la bouche grande
ouverte pour ne pas avoir les tympans crevés –, et Puntales est à peine
visible dans les nuées que soulèvent les impacts qu’il reçoit, l’un après
l’autre, et qui rendent son feu muet pendant un moment.
    — On fait ce qu’on peut, mon capitaine.
    Secouant la terre de sa veste, tête nue et un sourire
sceptique coincé entre les favoris blonds et sales, le lieutenant Bertoldi
s’est arrêté près de la meurtrière où se tient Desfosseux avec sa longue-vue.
Il se hausse sur la pointe des pieds pour observer les positions ennemies, puis
s’adosse au parapet et regarde des deux côtés.
    — C’est idiot… Tout ce vacarme et cette poudre pour
rien.
    — L’ordre est de bombarder les manolos sur toute la
ligne, répond Desfosseux, fataliste.
    — Et on s’y emploie, mon capitaine. Mais nous perdons
notre temps.
    — Un jour, vous vous ferez arrêter par les gendarmes,
Bertoldi. Pour défaitisme.
    Les deux militaires se regardent en échangeant une mimique
désolée et complice. Puis Desfosseux s’informe de la situation, et le
lieutenant, qui vient de rentrer d’une inspection en risquant sa peau dans le
tonnerre des bombardements – la précédente a été faite par le capitaine,
aux premières lueurs du jour –, présente son rapport : un mort et
trois blessés à la Cabezuela. Au fort Luis, cinq blessés, dont deux à l’agonie,
et un canon de 16 hors d’usage. Quant à la situation dans les positions ennemies,
il n’en a pas la moindre idée.
    — Je suppose que, tous autant qu’ils sont, ils nous
font des bras d’honneur, conclut-il.
    Desfosseux regarde de nouveau dans la longue-vue. Sur le
chemin du Récif, entre Puntales et la ville, il aperçoit un mouvement de
voitures et de gens à pied. Il s’agit sûrement d’approvisionnements pour

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