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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’Île,
avec une escorte nombreuse. Ou de renforts. Il passe l’instrument à Bertoldi en
lui indiquant la direction, et celui-ci, fermant un œil, colle l’autre à
l’oculaire.
    — Faites tirer sur eux, lui dit le capitaine. Je vous
prie.
    — À vos ordres.
    Bertoldi rend la longue-vue et s’éloigne en direction des
canons de 24 livres. Délibérément, Simon Desfosseux laisse en dehors de
toute cette folie bruyante – et absurde, pense-t-il à l’instar de son adjoint –
les précieux Villantroys-Ruty. Comme un géniteur attentionné qui tiendrait ses
enfants à l’écart des dangers et des embûches du monde, le capitaine maintient
en marge du duel d’artillerie Fanfan et les autres obusiers de 10 pouces
qu’il utilise pour tirer sur Cadix. Ces pièces superbes et délicates,
spécialisées dans leur fonction concrète d’allonger leur portée, toise après
toise, vers le cœur de la ville, ne peuvent gaspiller leur bronze bien fondu,
leurs capacités et leur durée de vie – dans des engins d’un tel calibre,
celle-ci est limitée, constamment exposée à une faille imperceptible ou à un
minuscule défaut dans l’alliage – à des efforts qui n’ont rien à voir avec
la mission pour laquelle ils ont été conçus. C’est pourquoi, dès le début de la
canonnade générale, le sergent Labiche et ses hommes se sont occupés, avant
toute chose, d’exécuter les instructions de Desfosseux pour ce type de
situation : empiler davantage de sacs de terre et de fascines autour des
obusiers et les couvrir de bâches épaisses pour les protéger de la poussière,
des pierres et des éclats. Et chaque fois qu’une bombe s’écrase à proximité,
menaçant de tomber en plein sur la redoute et de démonter les pièces de leurs
affûts, le capitaine sent son cœur tenaillé par l’angoisse à l’idée que l’une
d’elles pourrait être mise hors de service. Il souhaite que cesse ce
bombardement chaotique et absurde, que la vie des assiégés et des assiégeants
retrouve son train-train habituel, et qu’il puisse continuer à s’occuper de la
seule chose qui lui importe : gagner les 200 toises qui, sur le plan
étalé dans sa baraque, séparent encore la portée maximale des bombes tombées
sur Cadix – jusqu’à maintenant sur la tour Tavira et la rue San
Francisco – du clocher de l’église de la place San Antonio.

 
9
    Ciel gris, plombé. Température convenable. Sur les tours de
vigie de la ville, l’automne déchiquette les nuages sales du vent de ponant.
    — J’ai un problème, dit le Mulâtre.
    — Moi aussi, répond Gregorio Fumagal.
    Ils s’observent en silence, chacun pesant la gravité de ce
qu’il vient d’entendre. Les conséquences pour sa propre sécurité. Telle est,
tout au moins, l’impression de Fumagal. Il ne goûte guère la manière dont le
contrebandier sourit pendant qu’il tourne la tête pour regarder d’un côté puis
de l’autre les gens qui circulent au milieu des étals du marché de la place San
Juan de Dios. Un sourire qui n’annonce rien de bon, un rien ironique. Si tu
crois avoir des problèmes, semble-t-il signifier, attends un peu de connaître
les miens.
    — Parlez le premier, dit enfin le Mulâtre, d’un ton
las.
    — Pourquoi ?
    — Ce que j’ai à dire sera long.
    Un autre silence.
    — Les pigeons, risque prudemment le taxidermiste.
    — Qu’est-ce qu’ils ont, les pigeons ? –
L’autre semble surpris. – La dernière fois, je vous en ai livré douze,
dans trois paniers.
    — Il fait un geste discret en direction de la Porte de
Mer voisine et de l’autre rive de la baie. – Des pigeons de race belge,
comme toujours. Élevés là-bas… Ils devraient suffire, je suppose.
    — Vous supposez mal. Un chat est entré dans le
pigeonnier. Je ne sais pas comment, mais il l’a fait. Résultat : un vrai
carnage.
    Le contrebandier regarde Fumagal, incrédule.
    — Un chat ?
    — Oui. Il n’en a laissé que trois vivants.
    — Brave chat !… Un vrai patriote !
    — Je ne trouve pas ça drôle.
    — Il doit déjà être empaillé, à cette heure. Ou en
bonne voie de l’être.
    — Je ne l’ai pas attrapé à temps.
    Fumagal se rend compte que le Mulâtre le regarde d’un air
bizarre, comme s’il se demandait s’il parle sérieusement, pendant que tous deux
font quelques pas sans ouvrir la bouche. Lui aussi se pose la question. C’est
le milieu de la matinée, et les bruits de voix qui remplissent

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