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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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rétrécissement du Boquete, en lieu de
vente de vêtements usagés et d’objets venant des bateaux, porcelaine ébréchée
des Indes orientales, terres cuites ou étains, instruments de marins et
babioles de toutes sortes. De l’autre côté de la place, à la porte d’une taverne
située au coin de la rue Neuve que fréquentent consignataires et capitaines
marchands, des hommes bien habillés lisent des journaux ou contemplent le
va-et-vient des passants.
    — Vous me mettez en danger.
    Le Mulâtre fait claquer sa langue. Il n’est pas d’accord.
    — Vous êtes en danger depuis longtemps, monsieur. Comme
moi… Ça fait partie du métier.
    — Et pour quelle raison m’avez-vous donné ce
rendez-vous ?
    — Pour vous dire que je mets les voiles.
    — Comment ?
    — Je m’en vais… Vous n’aurez plus de messager pour
l’autre bord.
    Le taxidermiste fait plusieurs pas avant de digérer la
nouvelle. Soudain, la pénible certitude le prend que quelque chose de sinistre
est en train de se refermer sur lui. Une solitude supplémentaire, inattendue et
périlleuse. Même avec sa redingote boutonnée jusqu’au cou, il a froid.
    — Nos amis le savent ?
    — Oui. Et ils sont d’accord. Ils me chargent de vous
dire qu’ils prendront contact… Que vous continuiez à les informer, si vous
pouvez.
    — Et comment savent-ils que je ne suis pas surveillé,
moi aussi ?
    — Ils ne le savent pas. En tout cas, si j’étais à votre
place, je brûlerais tous les papiers compromettants. Au cas où.
    Fumagal pense à toute vitesse, mais ce n’est pas facile de
calculer les risques et les probabilités. De mesurer ce que seront ses forces
dans l’avenir. Le Mulâtre a été jusqu’aujourd’hui son seul contact avec le
monde extérieur. Sans lui, il restera pour une bonne part muet et aveugle.
Privé d’instructions et abandonné à son sort.
    — Envisagent-ils la possibilité que je puisse moi aussi
quitter Cadix ?
    — Ils vous laissent décider. Évidemment, ils
préféreraient que vous continuiez à prendre le vent. Que vous demeuriez ici
tant que vous le pourrez.
    Le taxidermiste réfléchit en regardant l’Hôtel de
Ville – sur lequel flotte le pavillon rouge et jaune de la Marine royale
que presque tout le monde a désormais adopté à terre. Il peut se tenir
tranquille, c’est vrai. Hiberner comme un ours, sans bouger le petit doigt
jusqu’à ce qu’on lui envoie une autre liaison. Se terrer en attendant que tout
redevienne normal. La question est de savoir combien de temps ça durera. Et ce
qui se passera à Cadix pendant cela. Il n’est sûrement pas le seul agent sur
place, mais ça ne lui sert à rien. Il a toujours fonctionné comme s’il l’était.
    — Et vous croyez, vous, que je vais rester ?
    Nouveau claquement de langue, indifférent. Le Mulâtre s’est
arrêté devant un petit étal où sont exposés, pêle-mêle, des papillons cubains,
des savons à barbe, des mèches d’amadou, des miroirs de poche et autres
bimbeloteries.
    — Ce que vous faites n’est pas mon affaire, monsieur.
Chacun suit ses envies. Les miennes sont de partir d’ici avant de me retrouver
avec le cou dans un collier de fer.
    — Sans pigeons, je ne peux pas communiquer. Toute autre
solution est lente et dangereuse.
    — Je verrai si je peux arranger ça. Sur ce point, je ne
pense pas qu’il y ait de difficultés.
    — Quand pensez-vous partir ?
    — Dès que possible.
    Laissant la place derrière eux, les deux hommes font halte
au coin de la rue Sopranis, sous la tour de la Miséricorde. À la porte de
l’Hôtel de Ville, une sentinelle de la milice urbaine, baïonnette au canon,
chapeau rond et guêtres blanches, est adossée à une colonne des arcades, l’air
peu martial, occupée à bavarder avec deux jeunes femmes.
    — Bien, dit le Mulâtre. Il ne reste qu’à nous dire
adieu.
    Il observe le taxidermiste avec un intérêt inhabituel, et
celui-ci devine aisément ce qu’il pense. Que peut-il comprendre à ses
idées ? Quel genre de fidélités peut-il professer ? Du point de vue
du Mulâtre, pratique et mercenaire, tout ça ne vaut pas un clou.
    — Si j’étais vous, je partirais sans hésiter, ajoute
brusquement le contrebandier. Cadix devient dangereux. Et vous connaissez le
proverbe : tant va la cruche à l’eau… Le pire des dangers n’est pas d’être
attrapé par les militaires, ou la police. Rappelez-vous ce qu’a subi ce pauvre
type, il y a quelques jours,

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