Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
refuserai aucun homme de bonne compagnie et je
contenterai son envie en lui obéissant ». Quant à Dourva, il est très net :
« En dépit de tes paroles, poison abominable, nous nous divertirons et
nous vivrons dans le plaisir. Je danserai, je boirai, je roulerai les dés, je
caresserai les filles et je mêlerai les cartes. » Les habitants veulent
alors faire un mauvais parti à Gwenolé, et Gradlon a toutes les peines du monde
à le soustraire à la fureur de la foule.
Resté seul avec le roi, Gwenolé lui dit : « Tu le
vois, mon oncle, ni les hommes, ni les femmes ne font cas de mes paroles. Et
puisque je ne peux les convertir, je vais te quitter et te laisser ici avec eux.
Mais, mon oncle, tu ne resteras avec eux que trois jours : car la
troisième nuit, tout ce qui se trouvera, cette nuit-là, dans la ville d’Is, sera
englouti. Dieu fera justice. Et avant de te quitter, mon oncle, je t’avertis de
bien écouter quand le coq commencera à chanter. Il chantera à dix heures, et tu
te prépareras. À onze heures, il y aura un deuxième chant : tu devras te
hâter pour quitter la ville. Au troisième chant, il te faudra faire galoper ton
cheval haut et bas, sans regarder derrière toi. Et si tu te trouves dans l’embarras,
je serai là pour te secourir dans ta grande nécessité. »
La malédiction est donc lancée sur la ville, un peu comme
lors de l’assemblée des dieux autour de Zeus, à propos de l’Atlantide. Le
troisième soir, le prêtre Mantar, Pikez et Dourva sont en compagnie de Marc’harid,
dans une auberge où ils festoient.
« Mais dehors, la pluie s’était mise à tomber et le
vent s’était mis à souffler. Marc’harid dit : « Que signifie ce bruit
qui fait trembler toute la maison ? Mon cœur saute dans ma poitrine, je
sens mon sang bouillir ! – Ce n’est rien, dit Pikez, c’est le vent de nuit
qui fait des siennes. Mais, moi, je n’ai peur de rien tant que j’ai un verre
dans la main ! – Continuons notre jeu, dit Mantar, entendre le
vent, le tonnerre, voir les éclairs, ce n’est assurément pas une chose
extraordinaire ! – En effet, dit Dourva, la tempête est si souvent
au-dessus de nos têtes ! » Et ils se remirent à jouer.
« Ce soir-là, Dahud, en compagnie de ses amoureux, donnait
une fête en son palais. Là, sous l’or et les perles, Dahud resplendissait comme
le soleil. « Plaisir à vous dans ce palais, filles caressantes et garçons
galants ! plaisir à vous et nuit gaillarde ! » dit un prince à
son entrée. Le prince portait un vêtement rouge. Sa barbe était noire et longue.
Ses membres étaient vigoureux, et ses deux yeux étaient brûlants.
« Sois le bienvenu, étranger, dit Dahud avec une mine
gourmande, oui, sois le bienvenu si tu es le plus savant dans le mal ! – Alors,
j’aurai bon accueil, répondit l’inconnu, car je suis aussi savant dans le mal
que celui qui l’a créé ! »
Dans ce contexte chrétien de la légende, il est évident que
celui qui est chargé de punir la cité maudite ne peut être que le Diable ou l’un
de ses fidèles serviteurs. Tout se passe comme si Dieu, ayant décidé de châtier
les habitants d’Is, les avait remis « au bras séculier », comme on
disait autrefois lorsque l’Inquisition ne voulait pas se salir les mains dans
le sang des condamnés. Abandonnée par Dieu, la ville d’Is appartient désormais
tout entière au Diable, à laquelle elle s’était d’ailleurs donnée auparavant
par la pratique du mal.
L’une des versions de la légende va même très loin dans la
description de ce véritable sabbat qui se déroule alors. Après avoir dansé avec
Dahud, le prince rouge dit : « Vous ne connaissez rien, gens de la
ville d’Is ! Apportez-moi les saints vases de l’église, apportez-moi la
croix du Crucifié, ainsi qu’une hostie consacrée, et vous verrez ! »
Dahud répondit : « On trouvera cela dans l’église de mon père, car
mon père a foi dans le trompeur de Nazareth ! » Ils furent trois à s’y
précipiter à l’instant. Ils renversèrent l’autel et rapportèrent les choses
sacrées dans leurs mains maudites.
Le prince rouge, dès qu’il les vit, se mit à rire en
lui-même et se mit à dire : « Plaisir à vous en cette demeure ! »
Il cassa d’abord à coups de pied, en mille morceaux, les vases, puis il piétina
le Crucifié et cracha sur l’hostie. Ensuite, en chantant : « Malédiction
sur la Croix ! », il fit tourner
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