Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
là l’univers
du sidh : des plaines s’ouvraient devant nous, des vagues déferlaient
dans l’océan, des vergers proposaient des fruits mûrs, des
roseraies nous offraient des calices mordorés et, dans le fond, somptueuses et
simples, peut-être bâties de cristal limpide, il y avait des demeures où nous
attendait la reine de la nuit, entourée de ses servantes, de ses suivantes, de
ses complices, pour nous faire entrevoir le feu secret qui gisait dans un vase,
quelque part dans une chambre inconnue de la Forteresse des Ombres. C’était la
Merveille. Et c’était l’émerveillement. C’était la récompense après l’errance, après
la pluie, après l’orage, après la marche le long des sentiers. Là, tout n’était
que luxe, calme et volupté. Mais c’était quand même une âpre volupté. Après
tout, l’allée couverte de Gavrinis, avec, au fond, sa chambre sépulcrale, ce n’est
qu’un tombeau. On y sentait l’humidité de la mort. On y sentait la pourriture, et
le lent dégradement de la pierre. L’eau suintait de partout. Un pourrissoir.
Mais quel pourrissoir ! J’ai toujours été obsédé par
les marais qui sont les lieux où la mort suscite le mieux la vie. De la décomposition
naît la victoire des forces agissantes : une fabuleuse énergie se dégage
du trouble et de l’humide. Il y a de cela à Gavrinis. Ces gravures représentant
des vagues, des blés, que sais-je encore ? et puis des haches, des
serpents, des chevelures, des contours de visages enfouis dans la nuit… Sépulcre ?
Pourquoi pas également un sanctuaire dans lequel ou sur lequel des générations
de prêtres, druides ou autres, seraient venues officier en quelque nuit de lune
noire ? Peu m’importait alors de savoir à quel moment précis de la Préhistoire
ce monument avait été élevé. Je pressentais seulement l’importance du lieu dans
un système religieux que des hommes avaient étalé sur le sol de ce pays. J’imaginais
des rites, des processions. J’imaginais des voix surgies des nuages et qui, s’adressant
à la foule, prononçaient des paroles de consécration et des lambeaux de
prophéties. Ce fut un moment rare que cette pénétration dans le tertre de
Gavrinis, et je crois que j’en suis resté marqué pour la vie.
Dès lors, nous n’eûmes de cesse de parcourir les tertres et
d’y traquer la lumière noire que je sentais présente, prête à se réveiller sous
nos mains. Tous les dolmens et allées couvertes de Locmariaquer, des bords de
la rivière d’Auray, de la presqu’île de Rhuys, de la Trinité-sur-Mer, de Carnac,
de Plouharnel et d’Erdeven furent l’objet de nos soins attentifs. Et nous ne
nous bornions pas à cette aire particulièrement riche en monuments gravés :
nous parcourions les landes de Lanvaux, les Monts d’Arrée, les rivages
déchiquetés du nord de la péninsule. Nous eûmes ainsi l’occasion de découvrir l’admirable
ensemble de Barnenez, en Plouezoc’h, à l’embouchure de la rivière de Morlaix, étrange
tertre qui contient plusieurs allées couvertes dont certaines recèlent des
supports gravés pouvant être comparés à ceux de Gavrinis ou de New-Grange. Et
comme la Bretagne ne suffisait pas à notre demande, nous étendîmes notre champ
d’action à bien d’autres pays. Les dolmens de la région parisienne n’eurent
plus de secret pour nous. L’allée couverte de Trie-Château, dans l’Oise, nous
intrigua avec sa pierre d’entrée trouée, ce que certains appellent le « trou
de l’âme ». Le collier et les seins en relief de la Déesse des Tertres, nous
les reconnûmes aisément sur l’allée couverte de Dampmesnil, dans l’Eure, au-dessus
de cette vallée de l’Epte que je sentais être une frontière entre deux mondes, et
qui m’avait toujours attiré par son aspect tranquille et désuet. Nous cherchâmes
aussi des dolmens dans les ravins de l’Ardèche, sur les plateaux désolés de l’Aveyron
et du Tarn, les deux départements français qui contiennent le plus de monuments
de ce genre. Nous aboutîmes, un matin brumeux et frais, dans le vaste périmètre
de Bougon et de Pamproux, dans les Deux-Sèvres, en un Poitou qui ne livre pas
facilement ses mystères, mais dont les tertres, parfois gigantesques, sont les
témoignages vivants de cette lumière noire qui inonde l’esprit. L’idée du mégalithisme,
l’art pariétal des mégalithes, la force brutale et invincible des dolmens, tout
cela constitua pour moi un admirable
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