Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
le domaine des pierres. Mais les pierres
parlent. Elles ont conservé la mémoire d’un autrefois qu’on ne peut même plus
imaginer.
II
DES
PIERRES SURGIES DU PASSÉ
Il y a deux Carnac. L’un s’étale le long de la grève, au
fond de la baie de Quiberon, protégée des vents du large et de toutes les
vagues qui viennent d’ailleurs. La plage de sable est immense, douce, accueillante
sous le soleil qui brille plus souvent que dans n’importe quelle région du
Morbihan. C’est ce qu’on appelle un microclimat. Du mois de mai au mois de septembre,
la température est égale, et vers l’heure de midi, on peut être assuré que l’air
est au moins à 18 degrés. Derrière les dunes qui ont été aménagées et fixées, des
maisons calmes aux revêtements blancs et aux toitures d’ardoises gris-bleu s’éparpillent
à travers les pins. Les arbres sont hauts, fournis, et l’ensemble offre l’aspect
d’un paysage méditerranéen auquel il manquerait le violet d’un ciel immuable. Car
ici, la brume envahit parfois l’espace, comme si le souvenir des temps passés
pesait sur un littoral que rien ne peut garantir des atteintes de la mémoire. Les
rues portent des noms évocateurs. Ici, tout est « avenue des Druides »,
« supermarché des Druides », « Agence des Druides ». Mais
le béton se fait discret derrière les façades de granit. Curieux
endroit. Tout est artificiel. Tout est récent, avec quelques épaves de l’avant-guerre.
C’est Carnac-Plage, lieu de villégiature, un peu snob, un peu guindé, mais
revêtu du charme discret de la bourgeoisie. Après tout, pourquoi ne pas
profiter de la douceur du climat et de la clémence d’un océan qui oublie d’être
violent ? Pourquoi ne pas profiter d’une nature qui sait se montrer
généreuse et recueillir dans son sein les respirations lentes des temps de
détente et de plaisir ? L’ensemble est harmonieux, calme : on oublie
que partout ailleurs, la mer poursuit son travail de sape contre le continent
européen.
Mais Carnac-Plage n’est pas Carnac-Ville. Des zones en
friche, peu à peu envahies par des résidences secondaires, séparent les deux
lieux. Les anciens marais salants sont maintenant asséchés, soit pour permettre
la construction d’immeubles, soit pour constituer d’utiles no man’s lands. Certains
d’entre eux sont même devenus des étangs d’eau douce. Et au-delà, c’est le
vieux bourg de Carnac, avec son église paroissiale dédiée à saint Kornéli, et
son vieux musée préhistorique Miln-Le Rouzic maintenant transplanté dans les
bâtiments de l’ancien presbytère. Au-dessus du porche de l’église, saint
Kornéli veille, accompagné de son taureau aux cornes magnifiques, et le porche
nord est un curieux assemblage baroque surmonté d’un imposant baldaquin. Cela
donne une atmosphère très particulière aux alentours du sanctuaire. Quand on
pense que ce porche date de 1792, on peut se demander si la Révolution
française a laissé des traces dans le pays. En tout cas, c’est le triomphe de
ce qu’on appelle parfois le style rococo. Et pourtant, le culte de saint
Kornéli semble remonter très loin dans le temps, à une époque où seul l’essentiel
était représenté dans les sanctuaires, à l’exclusion de toutes les fioritures
qui viennent encombrer certains des plus beaux monuments de la Bretagne. Est-ce
l’aboutissement de la folie imaginative des Celtes ? On serait tenté de le
croire : au siècle des Lumières, l’esprit celtique n’était pas encore mort,
semble-t-il. C’est d’ailleurs presque l’époque où Chateaubriand se mettait à
délirer et où l’érudit gallois Iolo Morgannwc reconstituait – avec force
inventions – un rituel néo-druidique à l’usage des nouveaux païens.
Il y a cependant une grande quiétude dans le bourg de Carnac,
comme si les habitants avaient voulu se protéger de l’ aura incontestablement
agitée qui pèse sur les alentours : Carnac est la capitale de la Pierre, mais
la Pierre est loin d’être immobile, elle vit, elle s’étale, elle se meut au gré
des croyances et des rites, elle s’éparpille, et se rassemble dans des rondes
infernales. La Pierre. Oui, Carnac est vraiment la capitale de la Pierre
préhistorique.
Carnac n’est pas un nom breton. Cela risque de décevoir les
amateurs de folklore et les rêveurs d’une Bretagne éternelle et omniprésente. Carnac
n’est pas non plus la transcription européenne du Karnak de la
Weitere Kostenlose Bücher