Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
LÉGENDES
La disposition des monuments mégalithiques, leur taille, leur
aspect souvent surprenant, leur répartition surtout dans des endroits déserts ou
sauvages, tout cela a contribué à interroger les générations quant à l’origine
et au but de ces pierres qu’on savait n’être pas naturelles. La première
réponse a été que nul être humain ne pouvait être capable d’avoir transporté et
mis en place des blocs de pierre aussi énormes. D’où l’intervention de
puissances mystérieuses qui, d’une façon ou d’une autre, selon la croyance
populaire, avaient laissé ainsi le souvenir de leur passage sur cette terre. L’érection
d’un mégalithe, surtout quand on sait qu’il pèse un poids considérable, suppose
un miracle. Et l’on a ainsi raconté des miracles.
À Carnac, ce miracle, c’est celui de saint Kornéli qui, poursuivi
par des soldats romains, et sur le point d’être rejoint par eux, demande à Dieu
de le protéger de ses ennemis. C’est Dieu qui opère le miracle en métamorphosant
les soldats en menhirs. Certes, le miracle est logique : les blocs de
pierre sont si bien ordonnés qu’on dirait effectivement une armée
bien en rang et qui a été figée dans l’immobilité au moment où elle se
préparait à se lancer dans le combat. Où la légende n’est plus logique, du
moins selon notre point de vue, c’est quand elle fait référence à des soldats
romains poursuivant un saint qui, en principe, devrait être le saint Corneille
qui fut pape à Rome. La contradiction apparaît alors, mais les légendes ont
leur propre logique. D’ailleurs, dans le cas de Carnac, il s’agit d’une légende
christianisée : on sait que toute christianisation de légende provoque une
adaptation d’un thème ancien à une réalité nouvelle. Si l’on veut s’attaquer au
thème ancien, il faut en arriver à supposer que saint Kornéli recouvre une
réalité préchrétienne qui n’a rien à voir avec un pape romain. Et c’est l’image
de ce dieu bizarre du panthéon gaulois qu’est le Kernunnos souvent représenté
dans les bas-reliefs de l’époque gallo-romaine.
Ce Kernunnos porte des cornes. Saint Kornéli ne peut porter
des cornes : dans ce cas, il ressemblerait trop au diable, et ce n’est pas
ce qu’on cherchait à dire. Qu’à cela ne tienne : il suffit de représenter
saint Kornéli en compagnie d’un animal porteur de cornes, qui serait alors son
animal familier, son symbole, et le personnage conserve sa dimension originelle
tout en empruntant une coloration chrétienne entièrement nouvelle. C’est ainsi
que saint Kornéli protège les bêtes à cornes, autrement dit les troupeaux qui, autrefois
dans la région de Carnac, constituaient à peu près le seul moyen d’existence
des habitants. Le passage du mythe païen à l’hagiographie chrétienne s’est fait
en douceur.
Mais ce passage, ou plutôt cette continuité, constitue une
révélation sur le véritable caractère de Kernunnos, et par conséquent donne des
indications précieuses sur le culte qui devait être pratiqué autrefois, à
Carnac comme dans tous les pays occupés par les Celtes, en l’honneur de ce dieu
cornu. Disons d’abord que Kernunnos se présente aussi bien comme revêtu de
cornes de cerf (comme sur l’autel païen du musée de Reims) que muni de cornes
de bovidés (comme sur l’autel des Nautes du musée de Cluny à
Paris), ou même ailleurs avec des cornes d’ovins. Et Kernunnos, tout en étant
classé parmi les dieux gaulois, n’appartient pas au panthéon celtique. Son nom,
qui peut provenir aussi bien du nom de la corne que de la racine
indo-européenne qui a donné le latin crescere, « croître », évoque
une idée de puissance et d’abondance. De fait, dans les figurations
gallo-romaines, il se présente comme un dieu de la fécondité, donc comme un
dieu de la troisième fonction indo-européenne.
Or, il est de toute évidence que la troisième fonction, qui
concerne la classe des producteurs, fait référence à des peuples qui ont été
soumis par les Indo-Européens et contraints par eux – qui se réservaient les
deux premières fonctions, la guerrière et la sacerdotale – à produire pour la
collectivité. En l’occurrence, les Celtes, qui ont envahi l’Europe occidentale,
vers le VII e siècle avant notre ère, n’ont fait que s’imposer à
des populations autochtones dont ils se sont servis ensuite pour constituer
leur civilisation telle que nous
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