Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
échappant à la vengeance du père. On rencontre des variantes de ce récit en
Bretagne et dans toutes les régions, notamment au sud du Massif Central et au
Pays de Galles. Ce qui est intéressant à observer ici, c’est que les Êtres de l’Autre
Monde peuvent, dans certains cas, accepter de recevoir dans leur domaine des
humains, mais pour en faire leurs serviteurs : à partir du moment où l’humain
outrepasse ses droits, ravit la fille du Géant, et symboliquement s’empare des
secrets de cet Autre Monde, il est poursuivi comme un malfaiteur et risque de
ne jamais revenir dans le monde des vivants. Et pourtant, les échanges sont
possibles entre les deux mondes.
Les épopées irlandaises anciennes nous renseignent avec
précision sur les rapports délicats qui existent entre humains et habitants des
Tertres. À vrai dire, ces récits mythologiques traduisent exactement, dans un
style archaïque, tout ce qui concerne les croyances à propos des mégalithes.
Le monde souterrain des tertres, c’est le sidh , mot
gaélique qui signifie « paix » et qui désigne d’une façon générale l’ensemble
du monde parallèle où vivent les dieux, les héros de l’ancien temps, les êtres
féeriques. Pourquoi vivent-ils ainsi dans l’univers souterrain, dans les grands
tertres tumulaires ? Le fameux Leabhar Gabala (Livre des Conquêtes),
compilé au XII e siècle d’après les traditions orales les plus
diverses, ne se fait pas faute de nous l’expliquer.
L’île d’Irlande, depuis le déluge, a été, nous raconte-ton, occupée
par cinq races. La première est celle de Partholon, venue immédiatement après
le déluge. La seconde est celle de Nemed (= le Sacré). La troisième est celle
des Fir Bolg (= les Hommes Foudre). Ces peuples se heurtent toujours à des
adversaires mystérieux, les Fomoré, qui se trouvent quelque part dans les îles,
en plein océan, et qui semblent signifier les forces obscures et négatives
continuellement prêtes à détruire ce qui se construit. Les Fomoré semblent l’équivalent
des Géants de la mythologie germanique, qui veulent s’attaquer à Asgard, la
citadelle des Dieux, d’où la nécessité de fortifier le Valhalla (Valhöll) en
y intégrant le plus possible de guerriers valeureux tués au combat.
Arrive la quatrième race, les Tuatha Dé Danann (Gens de la
Déesse Dana) qui, après s’être mesurés eux aussi aux Fomoré, éliminent les Fir
Bolg et introduisent en Irlande la science, la connaissance, la magie et le
druidisme. Si la race de Partholon représente un peuple uniquement occupé à
survivre matériellement, la race de Nemed, un peuple qui introduit la notion de
sacré dans le quotidien, la race des Fir Bolg, les techniques métallurgiques
des forgerons, les Tuatha Dé Danann représentent l’évolution de la société vers
un système de valeurs autant social, moral, intellectuel que religieux. Les
Tuatha Dé Danann sont en effet les dieux de l’ancienne Irlande, et l’on
reconnaît parmi eux les répartitions fonctionnelles communes à tous les
Indo-Européens. Ce n’est pas par hasard si la tradition
en fait les introducteurs du druidisme.
Mais les Tuatha Dé Danann se font battre par un nouveau
peuple, les Fils de Mile, c’est-à-dire les Celtes gaëls, à la bataille de
Tailtiu. Un traité de paix est alors conclu entre eux. Au terme de cet accord, les
Gaëls auront la surface de l’Irlande tandis que les Tuatha Dé Danann auront le
royaume souterrain du sidh, c’est-à-dire le domaine des tertres
mégalithiques, ainsi que la suprématie des îles lointaines (les îles
merveilleuses de l’Autre Monde).
Certes, sur un plan rationnel, la fable est éclairante :
les peuples anciens vaincus, tués au combat ou morts de vieillesse, sont
enterrés dans la terre d’Irlande. Il ne faudrait pas oublier que les tertres
mégalithiques sont des tombeaux. Mais ce qui change tout, c’est que les Tuatha
Dé Danann sont néanmoins les dieux des Gaëls : ils ne peuvent donc mourir.
C’est pourquoi on les fait vivre dans un univers parallèle, un monde invisible,
ce qui n’exclut aucunement la communication entre les deux royaumes. C’est si
vrai que la grande fête celtique de Samain, le premier jour, ou plutôt
la première nuit, de novembre, véritable jour de l’An, est consacrée à l’exaltation
de la communauté des vivants et des morts, des humains et des dieux. On
remarquera au passage que cette fête païenne de Samain a été
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