Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
blanches, les autres noires,
d’autres rouges. En taillant ainsi çà et là, ils creusèrent à l’intérieur de l’île
deux bassins profonds avec le rocher même pour toiture. Parmi ces constructions,
les unes étaient toutes simples, les autres formées de plusieurs espèces de
pierres pour le plaisir des yeux, présentant tout l’agrément dont elles étaient
naturellement capables. Ils recouvrirent d’airain, en guise d’enduit, le mur de
l’enceinte extérieure dans tout son parcours, d’étain la seconde enceinte, et l’Acropole
elle-même d’orichalque aux reflets de feu. »
Si l’on prend ce récit à la lettre, ce n’est qu’un tissu d’absurdités.
D’abord, à l’époque supposée, c’est-à-dire bien avant neuf mille ans avant
Solon, on est encore à l’Âge de la Pierre et l’on ignore les métaux, à plus
forte raison l’airain. De plus, il est impossible de croire à la réalité de ces
travaux gigantesques : il s’agit, bien entendu, d’une architecture sacrée,
d’un site qui est en lui-même un sanctuaire, à la fois terrestre et maritime, puisqu’on
constate une interpénétration invraisemblable de la mer dans les terres. À
moins que, sous une forme imagée et pompeuse, le récit ne nous donne une
description d’un lieu que les hommes ont conquis sur la mer, en récupérant des
terres à la façon des polders, et en drainant la surface par des canaux
appropriés. Il faudra s’en souvenir en étudiant la légende bretonne de la ville
d’Is, qui, elle aussi, semble offrir une situation complexe entre la terre et
la mer. Il faut aussi penser que deux peuples ont souvent vécu dans ce mélange
permanent, les Vénètes du Morbihan et les Vénitiens de Venise. Or ces deux
peuples portent en fait le même nom et sont des navigateurs hors pair. Ce n’est
pas sans susciter des questions.
Pourtant, cette île à l’architecture si étrange ne constitue
pas le temple lui-même : « Au milieu s’élevait le temple consacré à
Clito et à Poséidon, lieu redoutable, entouré d’une muraille d’or, où ils
avaient autrefois engendré et mis au jour les dix chefs des dynasties royales. C’est
là qu’on venait, chaque année, des dix provinces de l’empire, offrir à ces deux
divinités les prémices des fruits de la terre. Le temple, réduit à lui-même, avait
un stade de longueur, trois arpents de largeur et une hauteur proportionnée. Il
y avait dans son aspect quelque chose de barbare. Tout l’extérieur en était
revêtu d’argent, sauf les extrémités. Les extrémités étaient d’or,
d’argent et d’orichalque. Les murs, les colonnes, les pavés étaient recouverts
d’ivoire. On voyait des statues d’or, et singulièrement le dieu debout sur son
char, conduisant six coursiers ailés, si grand que sa tête touchait la voûte du
temple, et tout autour de lui cent Néréides assises sur des dauphins. On
pensait alors qu’elles étaient au nombre de cent. Un grand nombre d’autres
statues, offertes par des particuliers, s’ajoutaient à celles-là. »
Il y a d’évidentes contradictions : tant de richesse et
tant d’ornementation ne concordent pas avec l’aspect barbare du temple. Il
semble que les prêtres de Saïs qui sont à l’origine de l’information, et
Critias lui-même qui transpose sur le mode grec, aient brodé sur le thème. Une
croyance bien établie affirme que tous les Grecs sont menteurs, ou plutôt
affabulateurs. On sait très bien que la fameuse « Retraite des dix mille »,
vue par Xénophon, est une exagération de la réalité : il eût été
impossible de faire passer dix mille hommes par les sentiers que décrit le
philosophe-chroniqueur. On sait aussi que Pausanias, quand il raconte la
soi-disant prise de Delphes par les Gaulois de Brennus, ne fait que transposer
l’attaque des Perses contre le sanctuaire. Du reste, avant de brosser cette
histoire de l’Atlantide, Critias a pris soin de dire qu’il parlait en grec.
Dans ces conditions, il suffit d’éliminer les broderies pour
retenir le schéma essentiel. Il s’agit d’une île fortifiée parcourue par des
canaux. C’est donc un peuple de navigateurs qui réside là. Au centre, se trouve
un temple, ce qui est tout à fait normal. Dans les villages français, l’église
constitue généralement le centre de l’agglomération. Mais ce temple, surtout à
l’époque supposée pour l’existence des Atlantes, ne peut être qu’un temple barbare. Une image
Weitere Kostenlose Bücher