Ce jour-là
même le plancher d’un pick-up avec notre barda, la brise nous faisait du bien. Je retrouvais les sensations et les odeurs de mon premier séjour à Bagdad avec la Team Five, en 2003.
Nous étions arrivés juste après le début de l’invasion. Notre première mission était de sécuriser le barrage hydroélectrique Mukatayin, au nord-est de la capitale. Le commandement craignait que les Irakiens le fassent sauter pendant leur retraite pour retarder la progression des Américains.
Le plan était simple. Fondé sur notre expérience (qui était nulle), il consistait à voler directement sur la cible. Cette stratégie permet de prendre l’ennemi de vitesse et de profiter de l’effet de surprise. Nous avions prévu de survoler le barrage en hélicoptère, et de descendre à la corde lisse dans la cour. De là, nous allions investir aussitôt le bâtiment principal, le nettoyer et le sécuriser. Le GROM, l’unité polonaise d’opérations spéciales, se chargerait des bâtiments mitoyens, tandis qu’une autre unité des SEAL sécuriserait le périmètre extérieur avec deux véhicules tout-terrain.
Nous avions attendu quelques jours que les conditions météo s’améliorent, et nous avons reçu l’ordre de partir. J’avais le cœur qui battait fort en montant dans le MH-53. J’attendais ce moment depuis que j’étais gosse et que je lisais des histoires d’embuscades dans le delta du Mékong.
Je participais à ma première vraie opération de combat. J’y avais pensé, j’avais lu des livres sur le sujet et voilà que j’en faisais partie pour de bon.
J’aurais dû avoir peur, ou au moins ressentir de l’appréhension devant ce saut dans l’inconnu ; mais, en fin de compte, je me sentais bien : j’étais là pour de vrai. Je ne voulais pas juste m’entraîner à ce jeu, mais y jouer, et j’allais y goûter pour la première fois.
Le trajet avait pris plusieurs heures et il avait fallu procéder à un ravitaillement en vol. Les vingt hommes de mon équipe étaient serrés comme des sardines dans l’hélicoptère. L’odeur du kérosène emplit la cabine quand l’hélicoptère refit le plein. Nous étions plongés dans l’obscurité complète et je restai dans mes pensées jusqu’au signal.
« Deux minutes ! » cria le chef de bord. Il fit un geste de la main et alluma la lumière rouge. Les hélicoptères arrivèrent à proximité du barrage bien après minuit.
J’ai pris position à la porte et saisi la corde. À cause du bruit des moteurs, je n’entendais rien. Mes camarades et moi étions équipés de matériel d’effraction et de combinaisons contre les risques chimiques. La « Fée des bonnes idées » avait frappé fort lors de cette mission. La Fée des bonnes idées est le nom donné à la tendance des tacticiens à vouloir parer aux éventualités les plus exotiques. Ils avaient alourdi notre barda de toutes sortes de « bonnes idées ». Nous avions des scies spéciales pour forcer les portails, du ravitaillement et de l’eau pour quelques jours. Nous ne savions pas combien de temps nous allions rester sur le barrage, et nous devions être autonomes. La règle c’est que, en cas de doute, on prend le matériel. Bien entendu, cela signifie que plus on portait de poids, plus cela se ressentait physiquement, plus on était lents, plus c’était difficile de réagir vite aux menaces.
Lorsque l’hélicoptère s’est mis en vol stationnaire, j’ai saisi le filin à deux mains et me suis laissé glisser jusqu’au sol. Nous étions à une dizaine de mètres seulement et le sol arrivait à toute vitesse. J’ai ralenti un peu, mais pas trop, le risque étant que mes coéquipiers me rentrent dedans. Avec tout mon matériel, j’ai atterri comme une tonne de briques. J’avais mal aux jambes en me relevant. Mon fusil braqué, je me suis élancé vers le portail à moins de cent mètres.
Dès que je me suis éloigné de l’hélicoptère, le souffle des rotors m’est tombé dessus. J’étais bombardé de petits cailloux, j’avais de la poussière plein les yeux. Je voyais à peine le portail juste devant moi. Je me suis mis à courir, et le souffle des rotors m’a propulsé dans un sprint incontrôlable. J’ai dû lutter pour rester debout, et c’est littéralement en dérapage que je suis arrivé devant le portail.
Les autres étaient juste derrière moi. J’ai fait sauter la serrure avec ma pince coupe-boulons. À la tête de mon équipe, j’ai foncé vers
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