Ce jour-là
chance de les priver de leurs deux armes les plus dangereuses dès le début du combat.
Les morts portaient des chemises et des pantalons larges, avec des Cheetahs noires aux pieds. Les Cheetahs sont des chaussures de sport qui ressemblent à des Puma et que portent souvent les talibans. C’était même devenu une plaisanterie entre nous : un type avec des Cheetahs noires était automatiquement suspect. Je n’ai d’ailleurs jamais vu personne d’autre que les talibans en porter.
Depuis la crête, on apercevait les talibans foncer vers le bas de la montagne. Phil s’empara du lance-roquettes à côté du cadavre et tira sur les fuyards. La roquette tomba près d’eux et les bombarda d’éclats.
Phil lâcha l’arme et se tourna vers moi. La radio annonçait un appui aérien rapproché [un CAS, Close Air Support ] . Un hélicoptère de combat AC-130 décrivait des cercles au-dessus de nous.
« CAS ARRIVE SUR ZONE », hurla Phil, alors qu’il était à moins d’un mètre de moi.
Le tir de la roquette l’avait rendu sourd.
« Je t’entends très bien, lui dis-je. Pas la peine de crier.
— QUOI ? »
Pendant tout le reste de la nuit, j’entendais Phil bien avant de le voir. Le moindre mot qui sortait de sa bouche était hurlé.
Depuis la ligne de crête, on voyait les canons de 20 mm de l’AC-130 pilonner les talibans. Nous avons utilisé notre chien dressé au combat, que Phil surnommait « le Missile à poils », pour traquer les combattants restants. Tous étaient morts ou mortellement blessés.
Phil et un camarade ont poursuivi un taliban jusque dans une maison tandis que le reste de l’équipe sécurisait un champ envahi de hautes herbes. L’AC-130 signalait d’autres points chauds. Nous avons lancé le Missile à poils, et le chien a flairé la piste d’un homme tapi à moins de vingt mètres sur ma droite. Il a hurlé quand le chien l’a attaqué.
Mes coéquipiers ont rappelé le chien et lancé des grenades dans le fossé où le taliban s’était réfugié pour nous piéger. Ils sont restés pour nettoyer le fossé et j’ai repris ma progression.
Je ne voyais pas grand-chose, même avec mes lunettes de vision nocturne. L’herbe était dense et ralentissait la marche. J’entendais des échanges intermittents de coups de feu entre le tireur embusqué, Phil et son coéquipier. J’essayais de m’aider de mon laser pour éclairer un peu l’herbe et trouver un chemin. Les obus de 20 mm avaient laissé des cercles d’herbe brûlée par endroits.
Il fallait calculer chaque pas.
Je suis tombé sur une forme sombre à mes pieds, je voyais mal avec mes lunettes. J’ai marché dessus en pensant que c’était une bûche ou une branche, mais j’ai entendu un râle. J’ai fait un bond en arrière et tiré. J’ai eu une peur bleue.
J’ai pris une seconde pour me calmer et vérifier que je ne m’étais pas fait dessus. J’ai fouillé le corps. Il devait être déjà mort avant mon arrivée. La pression de mon pied avait chassé l’air resté dans ses poumons. Le corps était à moitié calciné – les obus de 20 mm. J’ai trouvé une AK-47 et une cartouchière.
De retour à Jalalabad, on s’est pris en photo. On y voit Phil, lance-roquettes à l’épaule. La photo restera un témoignage du jour où il avait vaincu les talibans avec leurs propres armes, se bousillant l’ouïe par la même occasion.
Voilà ce que j’appelais une bonne nuit de travail, et un bon début pour ce nouveau déploiement. Nous avions abattu plus de dix ennemis sans subir de perte. Comme d’habitude, notre professionnalisme et la chance s’étaient combinés. Le taliban réfugié dans le fossé nous attendait, et allait nous piéger, d’où l’intérêt des chiens de combat.
Depuis mon arrivée dans l’unité, ma vie avait été une succession de temps forts, d’opérations spectaculaires, entrecoupés de moments creux en attendant la mission suivante. Quand nous n’étions pas en mission, nous nous entraînions. Nous alternions sans répit les rotations entre l’Irak et l’Afghanistan. Le régime était le même que vous soyez célibataire ou marié avec des enfants. Notre univers tournait entièrement autour du travail. C’était notre priorité numéro un.
Pour des raisons de sécurité, il ne convient pas que j’évoque trop précisément nos familles, mais il serait malhonnête de laisser croire que nous n’en avons pas. Nous avons des épouses, des enfants, ou des
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