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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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l’étrange question du policier, Szasz n’a pas répondu. Sans élever la voix, Karolyi a insisté :
    — Répondez-moi. Saviez-vous que Rajk était un mouchard ?
    — Voilà qui me paraît tout à fait impossible.
    Cette simple constatation a déclenché chez Karolyi un long rire.
    — Bien sûr. Entre copains, on se soutient ! J’espère que vous vous rendez compte que cette attitude vous rend encore plus suspect.
    — Qu’est-ce que vous entendez par là ? Je ne peux tout de même pas attester que Rajk a été un mouchard !
    Karolyi a secoué la tête. Il tranchait avec les policiers hystériques que Szasz avait rencontrés depuis son arrestation. Karolyi restait calme, très calme. Ce qu’il voulait savoir, très exactement, c’étaient les détails des premières rencontres de Szasz et de Rajk. Szasz ne voyait aucun inconvénient à lui répondre. Il avait même évoqué avec plaisir leur jeunesse à tous deux, l’université d’avant la guerre, sa propre adhésion au parti communiste clandestin, le recrutement de son camarade Stolte. D’un air bienveillant, Karolyi l’a écouté. Simplement il a commenté :
    — Et nous voilà arrivés jusqu’à Stolte.
    Il a offert une cigarette à Szasz.
     
    — Et Rajk ?
    Voilà donc que l’on reparle de Rajk. Pourquoi ne pas dire la vérité puisque c’est à son instigation que Rajk est entré au parti communiste ? La bienveillance de Karolyi augmente :
    — Il est donc parfaitement clair que c’est Stolte qui a recruté Rajk.
    — Il n’y a aucun doute. C’est moi qui lui ai dit de le faire.
    — Êtes-vous prêt à le répéter en présence de Rajk ?
    Szasz répond affirmativement. Puisque telle est la vérité.
    Le lendemain, en pleine nuit, on vient le chercher dans sa cellule. Interrogé par un colonel, il rédige une déclaration confirmant que Stolte avait enrôlé Rajk dans le mouvement communiste.
    La même nuit. La même voiture noire, voilée de rideaux. La pièce où, derrière la table en forme de T, est assis Gabor Peter. Mais c’est un autre que Szasz regarde : un homme sans veston ni cravate, sans ceinture, avec une chemise froissée qui pend à moitié hors du pantalon gris. Un instant, il cesse de respirer. Il ne reconnaît que trop Laszlo Rajk, son camarade de toujours, le héros de la Résistance intérieure pendant l’oppression nazie, le plus populaire des dirigeants hongrois, celui qui, quelques jours plus tôt, était encore le « grand leader ».
    Effrayant, le changement ; « Son teint, habituellement vermeil, était maintenant d’un gris de cendre. Rajk se tourna vers moi, ses yeux me regardaient sans me voir. Les rides de son front s’étaient approfondies et trois sillons parallèles, qu’on aurait dit tracés à la règle, barraient son visage épuisé. Personne, sauf les interrogateurs et leurs chefs, ne saura jamais ce que Rajk avait subi pendant les premiers temps de sa détention ; l’origine de ces trois sillons reste un mystère pour moi. »
    Un instant, Szasz se dit que le visage de Rajk va se déchirer sur le tracé de ces sillons. Brutalement, il est tiré de ce songe insolite par Gabor Peter qui aboie une question :
    — Qui a enrôlé Laszlo Rajk dans le Parti, et qui a établi le contact entre lui et les jeunesses ouvrières ?
    — Stolte, répond Szasz.
    — Dites-le-lui en face.
    Szasz obéit. Rajk regarde loin, très loin devant lui.
    — Laszlo Rajk, le reconnaissez-vous ?
    Depuis le début, Rajk tient un crayon dans la main. Il le jette et répond à voix basse :
    — Je maintiens que c’était Meszaros.
    — Et vous maintenez que c’était Stolte ? hurla Peter à l’intention de Szasz.
    — Oui.
    À l’aube, Szasz retrouve sa cellule.
    Impossible de dormir. Il est sûr que sa mémoire ne le trahit pas. Il s’entend encore confier à Stolte la mission de recruter Rajk. Alors, pourquoi Rajk parle-t-il de ce Meszaros, un vague théoricien marxiste de l’époque ? Il faudra longtemps à Szasz pour comprendre. Enfin, la lumière jaillira. Au moment du conflit qui a opposé Staline à Trotski, Stolte a pris fait et cause pour ce dernier. Il a été exclu du parti communiste hongrois. Tout devient clair pour Szasz : Rajk, tête politique, rompu à la dialectique, a subodoré le danger qu’il courrait en reconnaissant avoir été recruté par un trotskiste. Bien sûr, au moment de son adhésion, Stolte n’était pas encore trotskiste, mais l’argument suffit à

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