Comment vivaient nos ancêtres
la rougeole, de faire macérer une journée entière dans du vin rouge. On pend à son cou des dents de chien ou de loup, censées favoriser la percée des siennes, qui peut elle aussi déboucher sur des complications parfois mortelles. À tout moment l’enfant est immergé dans l’eau miraculée de quelque fontaine ou source. Certes, des saints sont invoqués lors de chaque maladie : saint Martin pour le carreau, saint Paul pour les convulsions alors tant redoutées, saint Médard contre les vers, saint Biaise contre le croup et les maux de gorge. Mais que faire de plus ? Lorsque au milieu du XIX e siècle apparaît le médecin de campagne, on ne le fait pas venir pour examiner un enfant puisque celui-ci ne peut lui décrire ni ce qu’il ressent ni le siège de la maladie.
Il semble bien que la mort des jeunes enfants ait été longtemps considérée comme une fatalité, une loi de la nature. Les prêtres eux-mêmes omettent une fois sur deux, estiment généalogistes et démographes, de la consigner dans les registres paroissiaux. Cela veut-il dire que l’amour parental est moins fort ? Sans doute à l’égard des jeunes enfants. « Hélas ! c’est un ange au Paradis ! », se lamente le père ou la mère avec résignation. Mais combien de fois, pour des enfants plus âgés, on voit les parents réagir violemment devant leur disparition. « Je suis hors de moi-même, je descends en criant et en hurlant. Je vais trouver mon père lui annoncer mon malheur et mon désespoir. […] Je courais, je criais, je pensais à la douleur de ma femme lorsqu’elle apprendrait la nouvelle », raconte dans ses mémoires Charles-Nicolas Dognon, notaire à Charny-sur-Meuse. Ce chapitre est intitulé « Mort de mon fils, de mon petit ami, de mon gros, de mon Nonon, de mon petit Nicolas-Luc ». L’enfant a trois ans et la scène se déroule en 1790. Les témoignages d’amour filial dans les classes populaires et rurales d’autrefois sont introuvables mais il ne faut pas en conclure pour autant à l’absence de tendresse des parents.
Le sevrage apparaît donc comme un cap dans la vie de l’enfant qui se déroule ensuite pour ainsi dire toute seule. En effet l’enfant grandit sans qu’on s’inquiète de lui. Il vit avec les adultes, le plus souvent avec les vieux. Ce sont eux qui lui apprennent à parler à l’aide de comptines et d’onomatopées. De la même façon ils lui apprennent à compter. Pour aider l’enfant à faire ses premiers pas, on utilise des promenettes ou encore des « tintebins » (tiens-toi bien), sortes de déambulatoires à roulettes qui obligent, pour plus de sécurité, à équiper les bébés de bonnets rembourrés pour prévenir les chutes. D’autres fois, on le dirige avec une « lisière », qui a la forme d’une laisse ou de bretelles ; la lisière permet aussi de l’attacher lorsque l’on cesse de le surveiller. Le sevrage coïncide avec l’abandon du maillot. Garçon ou fille, le bébé portera désormais une robe unisexe jusque vers 1910-1920. L’âge de la première culotte sera l’âge de raison, celui où commence la seconde enfance.
L’ÂGE DE RAISON ET DES CULOTTES :
À L’ÉCOLE OU PAS ?
L’âge de raison marque le passage du monde de l’enfance au monde sinon des adultes, du moins de la société. L’enfant quitte l’entourage uniquement féminin et la maison pour aider ses parents dans leurs travaux. Ce changement se manifeste tout d’abord par un changement vestimentaire : il est désormais vêtu comme les grandes personnes, c’est-à-dire avec un costume approprié à son sexe, même si ce costume consiste en quelques guenilles déjà largement élimées. C’est ainsi que les garçons reçoivent des culottes, au grand désespoir de certains médecins moralisateurs qui les condamnent vigoureusement. « Ces culottes […] empêchent l’air extérieur de frapper les testicules ; ils n’en sont ni rafraîchis ni dans l’état de repos convenable. Ces testicules amollis, dilatés et sanguins, au lieu d’être froids, libres et calmés, qui ne devraient pomper que peu de sang, sont irrités, pressés et échauffés comme dans une serre chaude par des vapeurs acres et distillantes. C’est donc aux culottes qu’il faut attribuer la cause de ce que les petits garçons se trouvent avoir déjà de la semence à l’âge de dix ou douze ans, au lieu de quatorze ou quinze. » Et ce savant docteur de craindre « la malheureuse manie de
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