Comment vivaient nos ancêtres
destinée des biens temporels que celle de l’âme. Lorsqu’on sent la fin prochaine, on va chez le notaire ou plutôt on le fait quérir, restant « dans son lyct, malade ». L’homme de loi arrive avec ses « agoubilles », c’est-à-dire ses différents instruments de travail, et commence à officier selon les belles formules en usage alors : « Au nom de Dieu Amen », commence-t-il à écrire alors que son client se signe. « Sachant qu’il n’est rien de plus certain que la mort ni de plus incertain que l’heure d’icelle », le testateur invoque l’intercession d’un nombre variable de saints – parfois impressionnant – : son saint patron, la Sainte Vierge, son « bon ange gardien », … il rend mille et mille grâces et respects au Créateur, puis énumère ses volontés dernières, pratiquement limitées au plan religieux. Il demande qu’on l’inhume en tel ou tel lieu. Avec des dons proportionnés à sa condition et à sa fortune, il commande messes, neuvaines, trentins, ou célébrations à perpétuité, lègue quelques oboles à son curé et à divers établissements charitables. Éventuellement, il songe à donner quelque somme ou souvenir à ses proches, ses filleuls, et surtout à ses domestiques lorsqu’il en a. Ses affaires étant en ordre, il attend dans le calme, que vienne « l’heure des heures », celle à laquelle toute sa vie de chrétien n’a cessé de le préparer, et qu’à chaque instant la vie quotidienne lui a rappelée. Alors, autour de lui, la maison tout entière se prépare au « grand passage ».
« L’HEURE DES HEURES »
ET LES « LARMES D’ARGENT »
« M. le Curé s’en va donner le Bon Dieu. » Tout le quartier, tout le village est au courant. Devant lui, l’enfant de chœur tient la croix. De jour, il agite une clochette d’argent, et les gens, l’entendant, s’arrêtent de travailler, s’agenouillent et se signent. De nuit, il tient une lanterne. Chacun sait que l’un des membres de la communauté a commencé son agonie. Dans une maison du village, un scénario profondément dramatisé est entamé, car, autrefois, on meurt en public, devant parents, voisins et amis. On meurt entouré et aussi, sinon résigné, obéissant à l’arrêt divin. Près du lit du mourant, on récite des prières en commun tandis que brûle le cierge de la Chandeleur ressorti de l’armoire.
Puis, l’homme, ou la femme, s’éteint. De peur de prononcer le mot de mort, on dit le plus souvent qu’il « passe », ou « trépasse ». À la ferme ou à l’atelier, on arrête alors tout travail. On dételle les bœufs ou les chevaux. On va en informer les « mouches », c’est-à-dire les abeilles, toujours considérées comme susceptibles et pointilleuses à cause de leur dard. On met un voile noir au sommet de leur ruche, qui a, paraît-il, le don de les faire s’abstenir de butiner pour participer au deuil.
À la maison, on arrête les sonnettes et les balanciers des horloges, on voile les glaces lorsque l’on en a (pour ne pas que l’âme puisse y voir son reflet), on vide toute eau contenue dans les récipients (soit pour que l’âme ne s’y noie pas, soit que l’on pense au contraire qu’elle s’y est lavée de ses péchés), parfois on ôte une tuile du toit pour lui laisser une sortie vers le ciel.
De quoi donc avait cure un curé ?
De quoi ? Ou plutôt de qui ? Quelle question ! Un curé avait autrefois la cura animarum, autrement dit la charge des âmes. Des âmes de ses paroissiens, dont il devait prendre soin. C’est ce que l’on désignait par le mot « cure », qui ne s’appliquait nullement à l’origine à la maison dans laquelle il habitait, mais désignait le « bénéfice ecclésiastique » attribué au prêtre en raison des fonctions qu’il remplissait. La « cure » d’une paroisse consistait donc en l’usufruit de certains biens qui lui étaient attachés (par exemple des terres, léguées par des fidèles à leur mort), divers revenus destinés à assurer une aisance – souvent très relative – et souvent surtout, le montant des dîmes, impôts que le curé devait alors faire lui-même rentrer (il était alors dit « curé décimateur »).
De ce fait, certaines cures assurant une vie confortable devenaient l’objet de bien des intrigues, et se voyaient fréquemment transmises d’un oncle à son neveu. Les plus rentables faisaient même l’objet de spéculations, poussant les
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