Crépuscule à Cordoue
courant de rien !
J’en conclus qu’elle apprécierait peut-être la compagnie d’un homme raffiné et je partis hardiment à sa recherche. J’abandonnai donc cette joyeuse compagnie sans le moindre regret, persuadé qu’ils n’allaient pas tarder à sortir sur le balcon pour vomir plus à l’aise. Du moins ceux qui seraient encore en état de s’y rendre. J’en avais repéré un qui s’était déjà affalé, les yeux vitreux, contre une vitrine renfermant des objets rares dont l’avenir m’apparaissait très incertain.
Les pouces négligemment glissés dans ma ceinture, je me frayai difficilement un chemin à travers des essaims d’enfants riches en piteux état. Le spectacle que j’avais sous les yeux était peu rassurant pour un futur père. Franchement, Annæus Maximus aurait pu choisir un autre moment pour aller visiter ses domaines de Gades.
La demeure des Annæi possédait deux étages, elle était superbement décorée – dans un style un peu suranné –, et disposait de nombreuses chambres à coucher – dont certaines étaient occupées par des gens qui ne paraissaient pas souhaiter ma compagnie. En revanche, je ne découvris rien qui fut susceptible d’aider mon enquête. De plus en plus morose, je me hasardai à descendre un escalier en enjambant des jeunes filles sans partenaires assises sur les marches de marbre – au risque d’attraper des hémorroïdes –, et occupées à cogiter sur la stupidité des jeunes mâles cordouans.
Le rez-de-chaussée se composait des salles de réception et du péristyle que l’on trouvait dans toutes les vastes résidences conçues pour impressionner les visiteurs. Les Annæi d’aujourd’hui avaient su transformer de belle façon les huttes rudimentaires de leurs ancêtres.
Il y avait également des thermes où des jeunes gens étaient occupés à jeter des jeunes filles dans un bassin rempli d’eau chaude. Elles poussaient des cris perçants, puis se hâtaient de sortir pour recommencer. À première vue, il n’y avait pas encore eu de noyées. Dans le jardin attenant, certains avaient trouvé fort drôle de tresser des guirlandes de fleurs dans les cornes d’une chèvre, et de lui enfiler les robes que portait le maître de maison lorsqu’il officiait comme prêtre. Je les saluai sereinement avant de m’éloigner pour franchir une arcade qui me conduisit dans un autre jardin plus paisible, sauf quand une farandole le traversait en s’égosillant. Je me dirigeai alors vers un belvédère recouvert de lauriers et éclairé par des torches. J’y apercevais deux silhouettes en train de converser. Malgré la pénombre, il m’avait bien semblé reconnaître Optatus et la gracieuse Ælia, la sœur de nos trois joyeux hôtes.
Au moment où je contournai un couple, planté sur les gravillons comme deux statues enlacées jusqu’à la fin des temps, je vis Marmarides venir vers moi. Il voulait emprunter la voiture pour aller faire un tour avec deux sœurs fascinées par son « apparence africaine ».
— Je suppose qu’elles veulent savoir si ce qu’on raconte sur les Noirs est vrai ?
Il parut soudain très embarrassé, mais ne nia pas que ses admiratrices féminines manifestaient toutes la même curiosité au sujet de son équipement personnel.
— Et ça t’arrive souvent ?
— Oh ! sans arrêt, Falco ! Mon maître vit dans la hantise qu’un mari irascible vienne lui demander des explications parce que son épouse a accouché d’un petit mulâtre. S’il m’a envoyé avec toi, c’est parce qu’il a jugé que ta femme ne présentait aucun danger de ce côté-là !
— Oui, eh bien à propos de ma femme, j’ai très envie de retourner auprès d’elle.
— Alors, allons-y.
— Il ne faut pas oublier tes admiratrices. Essayons de sauver ces deux malheureuses créatures de la débauche.
C’était un raisonnement discutable, mais j’avais besoin d’une excuse pour partir. Marmarides avait offert de les ramener à Cordoue pour leur éviter soi-disant des ennuis avec leurs parents – une excuse qui en valait une autre pour se retrouver en sa compagnie. Je déclarai que j’allais les accompagner. Il ne resterait plus de place pour Optatus et Constans, mais je serais en mesure de protéger la vertu de Marmarides pendant le trajet jusqu’à Cordoue. Après avoir ramené les filles à leur porte, il me laisserait dans une taverne où je pourrais me restaurer, et il retournerait chercher nos deux compagnons. Si
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