Crépuscule à Cordoue

d’une machination, expliquai-je.
    J’eus envie d’ajouter que rien ne changeait jamais, mais l’optimiste idiot qui sommeillait en moi espérait qu’avec l’avènement de Vespasien, justement, les choses allaient changer.
    — Tes connaissances m’impressionnent, Falco !
    — Je collecte les informations. C’est même mon métier.
    — Alors, je dois me méfier de toi ! s’écria Quadratus en riant. Au Sénat, mon père appartient justement au comité qui contrôle la production du minerai servant à frapper la monnaie.
    Cette révélation me procura un nouveau sentiment de malaise : encore une façon pour Quinctius Attractus de renforcer sa position en Bétique. Heureusement, un procurateur impérial prenait toutes les décisions concernant l’ aes Marianum. Il appartenait obligatoirement à l’ordre équestre, et ce haut fonctionnaire avait certainement à cœur de bien accomplir sa tâche pour promouvoir sa propre carrière. L’autre aspect de tout gouvernement. Même les Quinctii n’y pouvaient rien changer.
    — Ah ! voyez-vous ça ! ironisai-je. Ce qui me surprend, c’est que ta famille n’exploite pas de mines…
    — Oh, mais bien sûr que si ! s’écria le jeune Quadratus en riant. Mon père est membre d’une société qui exploite une mine d’argent à Castulo. Et nous avons également une mine de cuivre. Comme je suis sur place, je m’en occupe pour lui.
    J’aurais dû m’en douter.
     
    — Ce que je me demande, commentai-je froidement, c’est quand tu trouves le temps pour ton propre travail. (Je venais de décider que la plaisanterie avait assez duré.) Être questeur n’est pas un métier de tout repos.
    — À la vérité, je n’ai pas encore commencé.
    — C’est ce que j’avais cru comprendre.
    Son expression ne se modifia en rien. Bureaucrate de fraîche date, il ignorait peut-être la véritable signification de cette « permission de chasse ». Qui sait s’il ne pensait pas que le proconsul lui avait octroyé une faveur ?
    — Tu as raison, renchérit-il. Le poste de questeur implique de grandes responsabilités, mais je me sens capable de les assumer.
    — Si l’empereur et le Sénat avaient pensé le contraire, je suppose que tu ne serais pas ici, expliquai-je posément.
    — Et puis, ajouta-t-il modestement, il y a des routines bien établies.
    — Avec des employés permanents qui sont habitués à faire le travail, sans doute ? demandai-je d’un air innocent.
    — Oui, mais ils auront besoin de moi quand il s’agira de prendre une décision difficile.
    De toute évidence, le scribe avec qui je m’étais entretenu dans le palais du proconsul était capable de prendre n’importe quelle décision qui serait endossée par le questeur.
    Je remplis la coupe de Quadratus. Je n’avais pas touché à la mienne, qui se trouvait posée sur le rebord de la balustrade.
    — Tu sais en quoi consistent tes attributions ? demandai-je.
    Il haussa légèrement les épaules. Ces jeunes gens chaudement recommandés partent toujours rejoindre leur province sans savoir exactement ce qu’on y attend d’eux. Je pris donc la liberté de lui résumer son rôle :
    — À part représenter le proconsul devant les tribunaux, tu dois collecter les impôts fonciers, les impôts locaux, les taxes portuaires, les droits de succession, la taxe impériale sur l’affranchissement des esclaves. L’Hispanie est immense, et si la Bétique n’est pas la plus grande province, c’est la plus riche et la plus peuplée. Les sommes qui vont te passer entre les mains seront importantes.
    — Oui, mais symboliques !
    — Je peux t’assurer que les familles concernées trouvent que les ponctions sur leurs finances sont très concrètes.
    — Oh ! ça doit être prévu dans leur budget. Ce que je veux dire, c’est que je ne suis pas obligé de me salir les mains à compter des pièces oxydées.
    Je me retins de lancer que j’étais surpris qu’il sache compter.
    — Il faut savoir regarder les choses en face, Falco. J’ai un titre et un sceau, mais je ne peux rien changer aux méthodes déjà adoptées pour ce travail. Rome le sait parfaitement.
    — Pourquoi, parce que tu seras muté dans un an ?
    — Non, parce que c’est toujours de cette façon que ça se passe.
    C’était le côté pourri du gouvernement. Un énorme pouvoir était placé entre les mains d’un jeune homme sans aucune expérience et trop sûr de lui, mais il restait purement