Dans l'intimité des reines et des favorites
s’était réconcilié avec son frère et avait reçu en échange de cette trahison le duché d’Orléans, se maria avec M lle de Montpensier. Alors la pauvre reine resta seule, triste d’avoir vingt-cinq ans et d’en profiter si mal…
De Londres, Buckingham avait suivi avec tout l’intérêt que l’on devine l’affaire Chalais. Quand il apprit que la reine vivait quasi séparée de Louis XIII , il reprit espoir.
Depuis quelque temps il était en relation avec les protestants de La Rochelle, qui avaient été soumis un an plus tôt par Richelieu, et il attendait qu’une occasion lui permît de faire voguer la flotte anglaise vers le pertuis breton.
Lorsque, au début de 1627, le cardinal fut de nouveau en difficulté avec les Rochelois à propos du fort de Ré, il clama bien haut que l’Angleterre ne laisserait jamais persécuter les huguenots français et poussa Charles I er à envoyer des forces sur le continent.
Le 27 juin, il quitta Portsmouth à la tête d’une flotte de cent navires et cingla vers La Rochelle.
— C’est une guerre sainte, disait-il.
En réalité, ce n’était qu’un prétexte pour se rapprocher de sa chère Anne d’Autriche [232] .
Le 22 juillet, il débarqua avec cinq mille hommes et cent chevaux dans l’île de Ré. Les seigneurs huguenots allèrent les rejoindre et s’enrôlèrent avec enthousiasme dans les régiments britanniques. Une terrible guerre s’allumait qui pouvait ébranler la puissance royale.
Durant des semaines, Richelieu, très inquiet, s’ingénia à empêcher les Anglais d’entrer dans La Rochelle. Des combats acharnés eurent lieu et des milliers d’hommes tombèrent victimes de l’amour de Buckingham pour la reine de France.
Pendant ce temps, il arrivait à Anne d’Autriche une bien curieuse aventure, si l’on en croit Tallemant des Réaux :
« Le roi étant au siège de La Rochelle, nous dit l’auteur des Historiettes , un de ses officiers nouvellement marié écrivait à sa femme qui était à la reine. Un commis de la poste nommé Colot porta le paquet de la reine. Cette lettre était dedans. La reine ouvrait toutes les lettres qui s’adressaient à ses femmes ; elle ouvre donc celle-là. Cet homme mandait à sa femme qu’il enrageait de ne pas la tenir et que pour lui montrer en quel état il était toujours, il lui en envoyait la figure. La reine lisait à la chandelle. Colot était de façon qu’il voyait à travers le papier un gros cazzo en bon arroi. La reine d’abord, ayant aperçu quelques traits de crayon, avait dit : “Assurément, c’est le plan de la ville… ô le bon mari d’avoir tout ce soin-là pour sa femme !” Depuis on appelle cela le plan de la ville ! »
Anne d’Autriche sera trouvée bien naïve. Mais on conviendra que Louis XIII ne lui donnait pas souvent l’occasion de voir l’objet dont l’officier avait envoyé la figure…
Les hostilités durèrent tout l’été et, au cours d’un engagement, M. de Saint-Servin fut fait prisonnier. Buckingham le fit appeler dans sa chambre. Le gentilhomme français vit alors qu’un portrait d’Anne d’Autriche était accroché près du lit de l’Anglais.
— Monsieur, dit celui-ci, allez dire à la reine ce que vous avez vu, et dites à M. de Richelieu que je lui livre La Rochelle et que je renonce à combattre la France s’il accepte de m’y recevoir comme ambassadeur.
Puis il fit relâcher M. de Saint-Servin, qui vint rapporter cette proposition au cardinal.
— Si vous ajoutez un seul mot, dit simplement celui-ci, je vous fais trancher le cou.
Saint-Servin changea de conservation…
Enfin, le 17 octobre, Richelieu parvint à chasser les Anglais de l’île de Ré. S’il n’était pas maître de La Rochelle, du moins avait-il vaincu son rival…
Buckingham rentra à Londres et pendant dix mois prépara soigneusement sa revanche. Après avoir réuni une flotte considérable, il allait repartir vers la France lorsque, le 2 septembre 1628, un officier, John Felton, le tua d’un coup de couteau, à Portsmouth [233] .
Cet assassinat jeta le désarroi dans l’esprit des Rochelois qui se remirent à Richelieu quelques semaines plus tard, le 27 octobre. Le cardinal, victorieux et vengé, fêta magnifiquement son triomphe et organisa de grandes réjouissances au milieu des fantômes qui hantaient encore la ville.
Tandis que l’armée était en liesse, au Louvre, une femme pleurait. Anne s’était
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