Dans l'intimité des reines et des favorites
s’empressa d’ébruiter la chose, au grand effroi de Marguerite qui eut peur de la colère de son mari.
Heureusement, Henri de Navarre avait alors d’autres soucis en tête : le duc d’Anjou était tombé amoureux de la belle Fosseuse et il craignait que la petite, dont il connaissait l’ambition, ne se laissât séduire par l’héritier présomptif du trône de France…
Feignant d’ignorer la scène de Cadillac, il alla trouver sa femme, lui conta sans aucune gêne ses peines de cœur et la supplia d’intervenir auprès d’Anjou.
Marguerite avait l’esprit large. Le soir même elle se rendit chez son frère pour lui demander de bien vouloir laisser en paix la maîtresse de son mari.
« Je le priai tant, nous dit-elle dans ses Mémoires , lui remontrant la peine où il me mettait par cette recherche, que lui, qui affectionnait plus mon contentement que le sien, força sa passion et ne parla plus à elle. »
Mais, pour mieux oublier Fosseuse, François décida de quitter Nérac et de rentrer chez lui. Quelques jours plus tard, il partait, emmenant son fidèle Champvallon…
Marguerite, qui n’avait pas prévu un tel dénouement, crut devenir folle. Elle s’enferma dans sa chambre pour pleurer et composer des stances sur le départ de son amant. En voici une strophe qui donne le ton :
Nos deux corps sont en toi, je ne sers plus que d’ombre ;
Nos amis sont à toi, je ne sers que de nombre.
Las ! puisque tu es tout et que je ne suis rien,
Je n’ai rien, ne t’ayant, ou j’ai tout, au contraire.
Avoir et tout et rien, comment se peut-il faire ?
C’est que j’ai tous les maux, et je n’ai point de bien.
Loin de refroidir la passion de Margot, la séparation ne fit que la surexciter.
Les lettres qu’elle envoyait alors à Champvallon en sont la preuve : L’absence, écrivait-elle, la contrainte donnent à mon amour autant d’accroissement qu’à une âme faible et enflammée d’une flamme vulgaire, il apporterait la diminution. Quand vous viendriez à changer d’amour, ne pensez pas m’avoir laissée, et croyez pour certain que l’heure de votre changement sera celle de ma fin, qui n’aura de terme que votre volonté.
Toutes les lettres se terminaient de même : Je ne vis plus qu’en vous, mon beau tout, ma seule et parfaite beauté. Je baise un million de fois ces beaux cheveux, mes chers et doux biens ; je baise un million de fois cette belle et amoureuse bouche.
Lettres ardentes, lettres enflammées qui prouvent que la reine Margot, si diffamée par certains historiens qui la présentent comme une gourgandine uniquement poussée par les sens, a brûlé, au moins une fois dans sa vie, d’une passion racinienne.
Après le départ du duc d’Anjou, Henri de Navarre vécut une nouvelle lune de miel avec la belle Fosseuse qu’il avait failli perdre.
C’est alors qu’une idée fort peu louable germa dans l’esprit de cette petite ambitieuse : elle pensa que si elle avait un fils de Navarre, celui-ci répudierait Marguerite, pour l’épouser, elle…
Des soirs durant, elle œuvra consciencieusement dans ce but et, un matin, put annoncer au Béarnais qu’elle était enceinte de ses bons soins.
La reine Margot, bien entendu, devina tout de suite que leur ménage à trois attendait un heureux événement. Elle en fut satisfaite, jusqu’au jour où elle constata que l’approche de la maternité transformait fâcheusement le caractère de son ancienne protégée.
« Lors, se sentant dans cet état, écrit-elle, elle change toute de façon de procéder avec moi ; et, au lieu qu’elle avait accoutumé d’y être libre et de me rendre à l’endroit du roi mon mari tous les bons offices qu’elle pouvait, elle commence à se cacher de moi, et à me rendre autant de mauvais offices qu’elle m’en avait fait de bons. Elle possédait de sorte le roi mon mari, qu’en peu de temps je le connus tout changé. Il s’étrangeait de moi, il se cachait, et n’avait plus ma présence si agréable qu’il avait eu les quatre ou cinq heureuses années que j’avais passées avec lui en Gascogne, pendant que Fosseuse s’y gouvernait avec honneur [52] . »
Marguerite n’était pas femme à se laisser abattre. Elle décida d’engager la lutte et d’être enceinte, elle aussi. Les eaux de Bagnères passaient alors pour avoir des vertus fécondantes ; elle y alla, but verre sur verre et écrivit à sa mère : Je suis venue à ces bains pour voir s’il
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