Dans l'ombre de la reine
sol.
— Sauf votre respect, madame, faut que je dise ce que je pense. Quelque chose de drôle m’est arrivé hier soir et m’est avis que vous devriez le savoir.
John prenait toujours grand soin de s’exprimer d’un ton correct envers ses maîtres, même pour les contredire.
— Quelque chose de drôle ?
— Pas comique, dame Blanchard, mais singulier. J’ai été abordé.
— Abordé ?
— Oui. Par un inconnu qui traînait du côté des écuries, et regardait les autres travailler. J’astiquais la selle d’Étoile quand ce gaillard s’est approché, l’air nonchalant, et m’a demandé si j’étais John Wilton. J’ai dit que oui. Alors, il a demandé si je prenais la route d’Abingdon avec vous aujourd’hui, et j’ai encore dit oui, vu que ça n’a rien d’un secret pour autant que je sache…
— Non, ce n’est pas un secret. Nous passerons par Abingdon, qui est la dernière ville avant Cumnor. Continuez.
— Bon. Il m’a proposé de gagner un peu d’argent en plus, alors j’ai demandé comment – quoique pas d’un ton très affable. J’aime pas les gens qui parlent en chuchotant. Je me demande toujours ce qu’ils ont peur de dire tout haut. Mais ça ne l’a pas décontenancé. Il a dit qu’il y avait un message personnel à porter. Ensuite, il s’est un peu empêtré. Il a dit que le grand seigneur pour qui il travaille voulait qu’une lettre soit remise en secret, car cela touchait à une délicate affaire d’État. Comme tout ça m’avait l’air d’un mauvais coup, j’ai refusé.
— À qui la lettre était-elle destinée ? Et qui l’envoyait ?
— Ça, je ne peux vous le dire. La conversation n’a pas été aussi loin.
— N’avez-vous pas posé la question ?
— Je ne voulais pas le savoir, répondit John avec candeur. D’ailleurs, je doute qu’il me l’aurait appris avant que j’aie plus ou moins accepté de l’aider. Possible que ça n’ait rien à voir avec les Dudley, madame. Le gars a mentionné Abingdon, et peut-être que tout est là – que, par hasard, nous allions dans la bonne direction. Mais ça ne me plaisait pas. Je n’aimerais pas vous mêler à une affaire pas claire, et j’espère que vous ne vous êtes pas déjà compromise dans ce genre de chose.
— John, j’ai été engagée afin d’assister Lady Dudley, atteinte par une grave maladie. Je vais seconder sa dame de compagnie et tenter de convaincre cette pauvre femme que son mari ne cherche pas à la tuer. J’espère couper court à la rumeur à laquelle vous faisiez allusion. Sans doute, il n’y a rien de mal à cela.
— Ma foi non, admit John. Néanmoins, ce gaillard-là ne me disait rien qui vaille, avec son histoire de messages secrets.
« À moi non plus », m’avouai-je au fond de moi. Je ne me rappelais que trop bien l’avertissement proféré par de Quadra.
— Si l’on vous adresse encore une telle proposition, tâchez d’en découvrir davantage. Soyez un peu curieux, John, pour l’amour du ciel ! À ma connaissance, rien ne menace Lady Dudley. Mais si c’était le cas, je devrais coûte que coûte en être informée.
L’orage persistant, nous restâmes au Coq en pâte pour la nuit. Nous repartîmes de bonne heure le lendemain, déjeunâmes en route dans la petite ville d’Abingdon, située au bord du fleuve, et parvînmes à Cumnor Place en fin d’après-midi.
Le temps était couvert, mais l’effet bienfaisant de la pluie se faisait sentir. Tout, autour de nous, n’était que prés verdoyants, vergers en fleurs et blés mûrs. Ces terres appartenaient à Cumnor Place, d’après Bristow, et John admira la prospérité du domaine. Cependant, lorsque nous arrivâmes, la demeure elle-même ne suggérait en rien la richesse.
La maison du portier était vide près du portail ouvert, d’où une allée conduisait à la cour. Je compris aussitôt qu’avant Anne Boleyn et la Réforme, cette propriété avait appartenu à un ordre monastique. On reconnaît facilement l’architecture ecclésiastique. Cumnor s’élevait sur un étage autour d’une cour fermée et comportait encore des cloîtres sur un côté. Les portes et les fenêtres avaient une arche en ogive, cette forme bien distinctive, évocatrice de prière et d’encens.
— Cela me rappelle Withysham, l’ancienne abbaye près de Faldene, fis-je observer à John Wilton. Votre sœur a ouï dire qu’on va la réparer puis l’habiter, tout comme ici. C’est étrange de
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