Dans l'ombre de la reine
à quelqu’un qui le fera ou ne le fera pas, mais d’une façon ou d’une autre on s’en lave les mains.
Mon oncle m’empoigna par le bras.
— Pas la peine de t’égosiller à appeler à l’aide. Tous les domestiques nous sont loyaux.
Je tentai bien de résister, plus par instinct que par réel espoir de m’échapper. Même si je me dégageais et sortais par la fenêtre, les chiens me poursuivraient. Je ne parvins pas à me libérer, de toute manière. J’écrasai en vain le pied enflammé d’Oncle Herbert. Il lâcha un chapelet de jurons, mais il continua à me tenir fermement. Ils étaient deux contre moi, et mus par une résolution farouche. Ma résistance eut pour seul effet de modifier mon lieu de captivité. En agrippant mon autre bras, ma tante dit d’une voix entrecoupée par l’effort :
— La chambre du grenier est trop loin pour qu’on l’y traîne. Emmenons-la plus près ! J’irai chercher sa servante. Je gage qu’elle est sa confidente. Il faut les enfermer ensemble.
C’est ainsi qu’après tout je passai le reste de la nuit dans la meilleure chambre du manoir, avec Dale pour compagnie.
CHAPITRE XV
Sous conditions
La chambre occupait un coin de la façade et de l’aile sud, dans une des tours. Elle se trouvait au premier, et ses fenêtres à meneaux donnaient comme celles du hall sur l’avant de la maison et sur la cour. Il y avait un immense lit à baldaquin pourvu d’un matelas supplémentaire et tendu de velours bleu rebrodé d’argent. Une garde-robe en noyer, une cheminée généreuse, des descentes de lit en fourrure complétaient le décor, ainsi qu’une table de toilette en pierre avec sa cuvette et son aiguière en argent, et enfin trois candélabres garnis de chandelles neuves. C’était une prison des plus luxueuses.
Ce n’en était pas moins une prison, dont Dale et moi étions les captives terrifiées. Nous nous serrions dans le grand lit pendant je lui exposais mes soupçons, confirmés par la lecture des comptes. J’aurais voulu la laisser en dehors de cette affaire, mais puisque mon oncle et ma tante la croyaient dans la confidence, autant que ce fût vrai. Elle avait le droit de savoir pourquoi elle se trouvait dans ce guêpier.
— Ils ne nous feront aucun mal, affirmai-je pour la rassurer.
J’omis de préciser que mon oncle cherchait conseil auprès de William Johnson. Je ne voulais pas l’alarmer outre mesure.
— Mais on nous retiendra peut-être un certain temps. Je vous ai entraînée dans une situation désagréable, Dale. Je le regrette.
— Vous n’en aviez pas l’intention, madame.
Même alors que nous nous tenions la main pour nous rassurer mutuellement, Dale restait la parfaite femme de chambre.
— Cette mésaventure finira par s’arranger. Après tout, vous êtes une dame d’honneur de la reine !
— Je le leur ai dit. Pourvu qu’ils m’aient entendue !
Nous nous endormîmes d’épuisement jusqu’au matin, où l’on entra dans notre chambre. C’était Tante Tabitha en personne, chargée du plateau du petit déjeuner et suivie par deux servantes, l’une apportant de l’eau chaude pour la toilette et l’autre nos vêtements.
Sans un mot, elles déposèrent leur fardeau et s’éclipsèrent. Dale serait bien restée recroquevillée dans le lit, mais je lui ordonnai de manger puis de s’occuper de nous préparer.
— Ne vous tourmentez pas, recommandai-je.
Ce bon conseil était plus facile à donner qu’à suivre. Nous n’avions rien à faire, hormis regarder par les fenêtres et tenter de comprendre ce qui se passait d’après le peu qu’on pouvait observer. Dans la cour, Oncle Herbert remit une lettre à l’un des palefreniers, qui sella un cheval et s’en fut. Vers Withysham, présumai-je. Cette idée me glaçait.
On nous apporta encore de la nourriture à midi. J’essayais d’avaler quelque chose tout en pressant Dale d’en faire autant, quand nous entendîmes le fracas de sabots. Le palefrenier ne revenait pas seul. Quatre autres cavaliers l’accompagnaient. Par les fenêtres de la façade, je les regardai passer tous les cinq. Je remarquai au premier coup d’œil que le plus grand d’entre eux avait une petite barbe et des cheveux brun-roux, à peine visibles sous un chapeau bleu pimpant orné d’une plume. Courant à une autre fenêtre, je les vis entrer dans la cour.
Un autre cria d’une voix forte à un garçon d’écurie :
— Où est Fauve ? Est-il guéri ?
Je me
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