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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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ébauche de complicité. Mais cette nouvelle manifestation de tendresse ne fut pas du goût de Morlanges. La personnalité même d’Éléonore, sa douceur, sa féminité, fouettaient la misogynie du gentilhomme et lui mettaient constamment sous les yeux le désastre de sa vie. Le rappel était bien plus insupportable encore lorsqu’il émanait d’Amélie et d’Antoine. Or un événement imprévu allait bientôt accentuer la répugnance du marquis.
    Peu après l’arrivée d’Éléonore, en effet, il reçut un billet de son fils. Le jeune officier lui annonçait qu’il venait de quitter le royaume pour rejoindre le prince de Condé. Morlanges fut très affecté par cette nouvelle. Sur le moment, il n’en parla à personne, pas même à sa femme, et se contenta de dire que Louis-Marie, occupé par quelques troubles survenus dans son département, s’excusait de ne pouvoir assister au mariage de sa sœur. Le marquis était accablé, nullement parce qu’il s’inquiétait pour son fils, mais parce que ce dernier était en quelque sorte le trompe-l’œil avec lequel il dissimulait son néant. Jusqu’à ce jour, tout avait tourné autour de Louis-Marie, de son éducation, de son avancement, de ses prouesses militaires. Excepté l’agriculture et la chasse, Morlanges ne parlait que de cela, ne s’intéressait qu’à cela. Ce qu’avait dit ou pensé Louis-Marie s’évoquait comme une affaire d’État. Le vieil officier, qui avait en quelque sorte une vision utilitaire des êtres humains, comptait en outre sur son aîné pour fuir ses responsabilités lors du mariage et surmonter ainsi l’espèce de dégoût qu’il vouait à sa fille. Car malgré les cicatrices dont son corps était recouvert, en dépit de la mine bravache qu’il affectait jusque sous le feu de l’ennemi, nul homme n’était plus lâche que celui-là.
    Le soir même, Morlanges surprit l’un des regards amoureux que se lançaient régulièrement Amélie et Antoine. Sa haine redoubla aussitôt d’ardeur. À cet instant précis, il regretta d’avoir accepté leur mariage et n’hésita pas à les maudire avec toute la hargne dont il était capable.
     
    La plupart des invités étaient arrivés au manoir. Seuls manquaient Gabrielle et Gaspard. Ils ne furent annoncés que la veille de la cérémonie, assez tard dans la nuit. Antoine alla à leur rencontre accompagné d’Amélie et de quelques porteurs de flambeaux. Il vit deux ombres sortir de la voiture, l’une aidant l’autre à descendre le marchepied. C’était un spectacle étrange. Dans l’épaisseur des ténèbres, on eut dit un vieux couple que tout séparait sauf le crime. Virlojeux fut le premier à présenter son visage devant le flambeau. Les ombres et lumières qui dansaient sur cette figure impassible lui donnaient un aspect inquiétant. Puis, après cette pétrification fugitive, le gazetier se fendit d’un large sourire.

VI
    Les bans avaient été publiés dans les temps et le contrat signé en bonne et due forme. Morlanges, qui n’avait pas deux mille livres de rente, prenait toujours un air dégagé quand on lui parlait d’argent. Il se réjouissait toutefois secrètement de l’apport financier des Loisel. On avait décidé que tous les frais du mariage seraient à leur charge et que, contrairement à la coutume, le marquis n’aurait aucune dot à verser. Morlanges, que son inclination portait à la rusticité, avait souhaité que la cérémonie fût célébrée dans la plus pure tradition paysanne, ce que Joseph Loisel avait accepté d’un air bonasse.
    Le jour venu, Amélie s’enferma dans sa chambre où elle s’apprêta longuement en compagnie de sa mère, de ses tantes et d’une demi-douzaine de cousines. Les jeunes filles entraient et sortaient constamment de la pièce. Antoine, engoncé dans son costume de noce, faisait les cent pas dans la salle ou discutait avec les invités en essayant de se donner un peu de contenance. De temps à autre, il entendait les interjections et les éclats de rire des femmes qui fusaient depuis la chambre.
    Vers onze heures du matin, une clameur suivie d’applaudissements lui fit lever la tête. Amélie se tenait en haut des marches, resplendissante. Coiffée d’un chignon, d’où filaient de longues boucles châtaines, elle portait un fichu de gaze bouffant et une robe de satin blanc frangée d’or. Antoine ne manquait pas non plus d’élégance avec sa lévite à l’anglaise couleur miel, sa cravate de taffetas,

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