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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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littérature.
    — J’ai lu récemment un ouvrage captivant, risqua Amélie d’une voix un peu trébuchante, le récit du voyage de lady Craven en Orient. En le parcourant, j’eus la sensation de sillonner la Méditerranée en compagnie de cette femme et d’éprouver avec elle une grande liberté.
    Antoine fut surpris par ce commentaire, non pas en raison du sujet abordé, qu’il jugeait somme toute assez banal, mais de la passion mêlée de tristesse avec laquelle la jeune fille s’exprimait.
    — Liberté ? Un mot dont on abuse aujourd’hui, intervint Montfort en haussant les épaules.
    Le chevalier considérait Amélie avec convoitise et cette insistance parut à Antoine des plus déplaisantes.
    — La liberté est pourtant un très joli mot, Monsieur, se contenta-t-elle de dire en baissant la tête…
    Le comte de Neuville l’observa avec un sourire attendri.
    — J’approuve pleinement ce que vous dites, Mademoiselle. Nous jugeons toujours avant de connaître et nos condamnations ne sont souvent que le reflet de notre ignorance.
    — N’est-ce pas aussi vrai en matière de politique ? demanda le chevalier de Montfort. Aujourd’hui le moindre avocaillon de province, le plus petit notaire croit pouvoir révolutionner le monde et soulager l’humanité souffrante. Mais, au juste, qu’en savent-ils ? Sans mesurer le ridicule de leur démarche, voilà que ces pédants viennent interpeller les ministres et Sa Majesté elle-même. Comment ! Cette outrecuidance, cette licence, cette corruption des mœurs ont pu être applaudies. Et bientôt le peuple voudra se gouverner à sa guise. Aujourd’hui même, la basoche se proclame Assemblée nationale sans même consulter le roi, que dis-je ? au mépris même des défenses les plus expresses de Sa Majesté !
    — Comme vous vous exaltez, mon cher chevalier, intervint Mme de Nogaret d’une voix douce. Tout ce qui peut unir la Nation est une bénédiction et je suis persuadée que le roi saura réconcilier les différents partis autour de sa personne…
    Gabrielle de Nogaret n’eut pas le temps d’achever sa réflexion car un laquais venait de lui faire un signe depuis la porte du salon. Derrière lui se tenait un homme dont Antoine ne parvenait pas encore à distinguer le visage. Puis le valet se mit à crier de sa voix de stentor.
    — Monsieur Gaspard de Virlojeux.
     
    L’avocat de Toulouse s’était une nouvelle fois métamorphosé ; Antoine mit quelques secondes avant de le reconnaître. Rien pourtant dans la tenue de Virlojeux n’avait changé. Il portait le même costume de drap noir, un jabot et des manchettes de batiste, un gilet de ratine uni et un chapeau de feutre à trois cornes. Mais il y avait quelque chose de différent dans le port de sa perruque, dans la manière de se mouvoir et de tenir sa canne comme une épée. Il n’était plus désormais le négociant un peu frustre rencontré dans la diligence de Paris, ni le député du tiers état, invité par Mme d’Anville, mais un gentilhomme habillé en chenille, c’est-à-dire avec simplicité. S’il n’eût croisé ses yeux ronds et vifs, nichés sous d’épais sourcils, Antoine se fût imaginé quelque méprise.
    Virlojeux tendit sa canne et son chapeau à un valet puis balaya l’assistance du regard. Il affichait ce sourire étrange, presque imperceptible, qui avait déjà frappé le peintre à plusieurs reprises. Cette mimique donnait l’impression un peu effrayante qu’il savait tout de l’avenir et s’en amusait à l’avance.
    — Monsieur de Virlojeux souhaitait vous faire une surprise, dit Gabrielle en s’adressant à Antoine. C’est grâce à lui que nous avons la joie de vous rencontrer.
    — Je vous avais promis que nous nous reverrions, ajouta l’avocat. Je souhaite toujours contribuer à votre fortune… Mais je manque à tous mes devoirs. Permettez que je salue nos amis.
    Antoine fut frappé par l’aisance de Virlojeux. Cet homme étonnant se montrait aussi familier avec des représentants de la haute noblesse qu’avec les bourgeois de la rue aux Ours. Peut-être était-il lui-même un aristocrate déguisé, une sorte d’excentrique, d’espion, de personnage aux facettes multiples. Loisel ne serait pas étonné de rencontrer un tel caméléon dans un estaminet de la halle, riant et jurant avec des charretiers.
    — Mais j’y songe, fit l’avocat comme pour détourner l’attention, j’ai interrompu votre conversation. De quoi

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