Des Jours sans Fin
d’enfant, qu’un sourire disperse. Ainsi, cette journée du 11 novembre, je crois.
— Le matin, Max, chef du block 4, le plus épouvantable bandit que l’Allemagne ait engendré et Dieu sait si elle en est prodigue, procède en personne, au réveil de ses détenus à la pointe du jour. C’est une volée de coups de goumi qui nous jette au bas des paillasses et le chef de chambre, un voyou à la gueule tordue qui déclare avoir des comptes à régler avec la société, les yeux chavirés par l’alcool de pommes de terre, frappe à tort et à travers têtes, nuques, épaules avec des bottes en caoutchouc. Ils ont dû boire toute la nuit. Le comte X…, secrétaire allemand du block, enfermé dit-on pour mœurs contre nature, assiste à la scène, mais ne prend pas part aux réjouissances. Nous fuyons au-dehors par les fenêtres, nus pour aller nous laver, suivant l’ordre reçu et nous revenons aussitôt. Nos vestes, pantalons, chemises et sabots ont été mélangés en tas au milieu de la chambre et tandis que Polonais, Yougoslaves, Français, Russes se débattent et se battent pour trouver de quoi se vêtir, le chef de chambre lance à toute volée des seaux d’eau au ras du sol. Rassemblés en un clin d’œil sur la route, nous défilons un par un devant un bouteillon de jus noir, ce qui donne à Max l’occasion de ponctuer la distribution à coups de louche. Son visage est révulsé. Il a visiblement envie de tuer quelqu’un. J. P…, chef de bureau à la Préfecture de la Seine, s’écroule sous le choc d’un direct en pleine figure, pour avoir présenté sa gamelle trop bas. La distribution est arrêtée alors que la moitié de la colonne n’est pas encore servie. Au pas de course, en quelques bonds, Max nous livre à l’adjudant « Sans Soupape », chef du kommando, qui s’empare de nous jusqu’au soir.
— Il n’y a que 5 à 6 kilomètres à parcourir jusqu’au canal que nous devons combler. Mais ils sont très pénibles, parce que les sabots en bois, tout d’une pièce, nous obligent à marcher les jambes raides et écartées. Les pieds sont entamés et quelques camarades sont déjà menacés de voir leurs plaies tourner au phlegmon. La « panthère noire », un kapo sanguinaire, mène le train et le mène à toute allure pour aggraver les souffrances des détenus qui peinent en queue. Tout le long de la colonne, les S.S. s’amusent à lâcher et à retenir leurs chiens méthodiquement entraînés à l’attaque de mannequins rayés bleu et blanc. Les morsures de ces chiens ne se fermeront que très lentement.
— Un vent glacial tombe du Schneeberg et balaie la plaine du Danube. Il faut cependant quitter la veste de toile végétale et le travail commence par équipe de piocheurs, pelleteurs, brouetteurs.
— Dès le début, nous enlevons nos sabots, intolérables, et nous pataugeons pieds nus dans la boue. Le bruit des pelles est scandé par les hurlements des kapos.
— « Bewegung ! Bewegung ! »
— Et les coups de schlague tombent sur les épaules. Tout homme qui s’arrête un instant est immédiatement repéré et reçoit son compte. Les pelleteurs peuvent un peu tricher à la rigueur, mais les brouetteurs contrôlés au passage sont roués de coups si leur brouette n’est pas assez chargée. De tous côtés des oreilles, des nez saignent. Violemment interpellé par un kapo, j’enlève ma chemise et montre mes blessures de 40 qui ne me permettent pas un travail normal. Je suis fauché par un coup de goumi. Un S.S. tout jeune, édenté, braque sa mitraillette sur moi, et siffle comme une vipère :
— « Il n’y a pas de blessés ici. Si ça ne tient qu’à moi, tu ne reverras jamais ton pays, fumier de major ! »
— Le bruit court de pelle en pelle qu’ils vont tuer un détenu, à titre d’exemple. En effet, voici la victime choisie : un Polonais. La « Panthère noire » charge lui-même sa brouette de cailloux et de terre jusqu’au bord. Le malheureux titube en essayant de gravir la pente qui mène à une passerelle. Le kapo qui n’a cessé de le frapper depuis le départ, le précipite dans l’eau. Il arrive à s’en sortir en s’arrachant à la vase. Dès son retour sur la terre ferme deux S.S. l’encadrent et l’obligent à se diriger vers la ligne des sentinelles. Lorsqu’il arrive à la hauteur de la première, celle-ci tire presque à bout portant et l’abat. Un des « Sans Soupapes » a sorti son pistolet et fait un carton
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