Dissolution
rencontré le jour où j’avais entrepris la mission
de Scarnsea.
« Holà, Shardlake ! lança-t-il amicalement. On a
donc arrêté un ardent évangéliste. Un anabaptiste, sans doute, à en juger par
son ton enflammé. Ils voudraient s’emparer de tous nos biens, tu sais !
— Est-ce que désormais on rafle sans autorisation tous
les prédicants ? Je m’étais à nouveau absenté de Londres.
— Il y a des anabaptistes à Londres, parait-il. Le roi a
ordonné que tous les suspects soient arrêtés. Il va en envoyer quelques-uns au
bûcher, et c’est tant mieux. Ils sont plus dangereux que les papistes.
— Aujourd’hui, on n’est plus en sécurité nulle part.
— Cromwell a saisi l’occasion de procéder à une battue
générale. Coupe-jarrets, escrocs, prédicants sans licence, par ce temps de
chien ils sont tous restés tapis dans leur niche, et il les oblige à en sortir.
Et ce n’est pas trop tôt ! Tu te rappelles la vieille commère et son
oiseau qui parle ?
— Oui. Ça fait un siècle, on dirait.
— Tu avais raison, en fait. L’oiseau répète seulement
les mots qu’on lui apprend. On a importé deux bateaux entiers de ces bestioles,
et toute la Cité en parle, tous les propriétaires d’une maison de ville en
veulent une. La vieille a été accusée d’escroquerie et elle sera sans doute
attachée à l’arrière d’une charrette et fouettée. Mais où étais-tu passé ?
Tu es resté bien au chaud près de l’âtre ?
— Non, Pepper. Je suis allé en province, en mission pour
lord Cromwell, une fois de plus.
— Il paraît qu’il est déjà à la recherche d’une nouvelle
épouse pour le roi, dit-il, espérant me tirer les vers du nez. On parle d’un
mariage avec une princesse allemande, une Hesse ou une Clèves. Ça nous lierait
aux luthériens.
— Je ne sais rien là-dessus. Je te le répète, j’étais en
voyage pour le compte de lord Cromwell. »
Il me regarda d’un air envieux.
« Il te donne beaucoup de travail. Penses-tu qu’il lui
en resterait un peu pour moi ? »
Je fis un sourire ironique.
« Oui, Pepper. Sans aucun doute. »
Rentré chez moi, je lus le courrier sur lequel, à cause de la
fatigue, je n’avais jeté qu’un bref coup d’œil la veille. Il comprenait des
lettres concernant des dossiers dont je m’occupais. Mes clients requéraient des
réponses urgentes sur divers sujets. Il y avait aussi une lettre de mon père. La
moisson avait été maigre cette année-là. La ferme ne rapporterait pas
grand-chose et il songeait à consacrer davantage de terre à l’élevage des
moutons. Il espérait que mes affaires étaient prospères et que Mark réussissait
bien aux Augmentations. (Je n’avais rien dit à propos de sa disgrâce.) Il ajouta
qu’en province on disait qu’on allait dissoudre d’autres monastères. Le père de
Mark se réjouissait de cette perspective, puisque ça fournirait davantage de
travail à son fils.
Je posai la lettre et regardai tristement le feu. Je pensai à
Mark Smeaton sur le chevalet de torture, totalement innocent. Et à Jérôme sur
le même chevalet. Rien d’étonnant à ce qu’il détestât la fonction que j’incarnais.
Tout ce qu’il avait dit était donc vrai. Il devait connaître le rapport
existant entre Singleton et Mark Smeaton, sinon pourquoi m’aurait-il raconté
cette histoire ? Pourtant, il avait juré qu’aucune personne du monastère n’avait
tué Singleton. Je tâchai de me rappeler ses paroles exactes, mais j’étais trop
fatigué. Le cours de mes pensées fut interrompu par un coup frappé à la porte. Joan
entra.
« Un pli vient d’arriver, monsieur. De la part de lord
Cromwell.
— Merci, Joan. » Elle me remit une épaisse
enveloppe que je retournai dans mes mains. Elle portait la mention « Très
confidentiel ».
« Monsieur, demanda Joan d’un ton hésitant, puis-je vous
demander quelque chose ?
— Bien sûr. » Je lui souris. L’anxiété se lisait
sur son visage poupin.
« Je me suis demandé, monsieur, si vous alliez bien… Vous
avez l’air troublé. Et maître Mark, est-il en sécurité, là-bas, sur la côte ?
— Je l’espère. Je ne sais pas ce qu’il va faire ensuite,
cependant, puisqu’il ne veut pas retourner aux Augmentations.
— Ça ne m’étonne pas.
— Vraiment, Joan ? Moi si.
— Je voyais bien qu’il n’y était pas heureux. Il paraît
que c’est un endroit atroce, plein d’hommes cupides, sauf votre
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