Dissolution
« Allez vous asseoir sur le lit ! Bougez
lentement… »
Je traversai la pièce en chancelant et m’affalai sur le petit
lit. Alice se leva et alla se placer à côté de Mark, lui entourant la taille du
bras.
« J’ai cru que tu n’arriverais jamais. Je l’ai retenu en
parlant. »
Mark referma la porte, puis resta en équilibre sur la pointe
des pieds, gardant son poignard tout près de ma gorge. Un simple mouvement en
avant et il pouvait m’étriper en un tournemain. Il n’avait plus l’air
impassible, mais absolument déterminé. Je le fixai du regard.
« C’est toi qui étais dans la cour tout à l’heure ?
Tu m’as suivi ?
— Oui. Qui d’autre est au courant, monsieur ? »
Il continuait à me donner du « monsieur ». Je faillis éclater de rire.
« Le messager était l’un des serviteurs de lord Cromwell.
Cromwell connaît désormais le contenu du pli. Par conséquent tu sais ce qu’elle
a fait ?
— Elle me l’a appris la première fois que nous avons
couché ensemble, le jour où vous êtes parti pour Londres. Je lui ai dit que
vous étiez malin… Je vous ai vu vous rapprocher du but et on s’apprêtait à
partir ce soir. Si vous étiez arrivé quelques heures plus tard, vous ne nous
auriez plus trouvés là. Je regrette que cela ne se soit pas passé ainsi.
— Vous ne pouvez pas vous enfuir maintenant. Pas en
Angleterre en tout cas.
— On ne va pas rester en Angleterre. Un bateau nous
attend sur la rivière pour nous conduire en France.
— Les contrebandiers ?
— Oui, répondit tranquillement Alice. Je vous ai menti. Mes
amis d’enfance ne se sont pas noyés et ce sont toujours mes amis. Il y a un
navire français qui nous attend en mer. Il doit prendre une cargaison en
provenance du monastère demain soir, mais il envoie une embarcation dès ce soir
pour nous chercher. »
Je sursautai.
« En provenance du monastère ? Vous savez de la
part de qui ? Ou de quoi il s’agit ?
— Ça m’est égal. Nous attendrons à bord du navire jusqu’à
demain avant de mettre le cap sur la France.
— Mark, sais-tu quelle est cette cargaison ?
— Non. » Il se mordit les lèvres. « Je suis
désolé, monsieur. Seules Alice et notre fuite m’importent désormais.
— Les Français ne portent pas les réformateurs anglais
dans leur cœur. »
Il me regarda avec compassion.
« Je ne suis pas un réformateur. Je ne l’ai jamais été. Encore
moins depuis que je suis au courant de la manière d’agir de Cromwell.
— Tu es un traître. Déloyal à ton roi et à moi qui t’ai
traite comme un fils.
— Je ne suis pas du tout votre fils, monsieur. Je n’ai
jamais été d’accord avec votre religion. Vous vous en seriez aperçu si vous
aviez jamais écouté ce que je disais au lieu de m’assener vos opinions.
— Je ne mérite pas d’être traité de la sorte par toi, gémis-je.
Ni par vous, Alice.
— Qui sait ce que chacun mérite ? s’écria Mark avec
fougue. Il n’y a ni ordre ni justice ici-bas, comme vous le verriez si vous n’étiez
pas aussi aveugle. Après ce que m’a raconté Alice, j’en suis sûr maintenant. Je
pars avec elle, j’ai pris cette décision il y a quatre jours. » Pendant qu’il
parlait, je vis qu’il hésitait pourtant, qu’il avait honte et que l’affection
qu’il m’avait portée n’avait pas complètement disparu.
« Tu es donc devenu papiste ? Je ne suis pas aussi
aveugle que tu le crois, Mark. Je me suis parfois demandé quelle était ta vraie
croyance. Que penses-tu alors de la profanation de l’église par cette femme ?
C’était vous, Alice, n’est-ce pas ? Vous avez déposé ce coq mort sur l’autel
après avoir tué Singleton pour brouiller les pistes ?
— Oui, c’est vrai. Mais si vous pensez que Mark et moi
sommes des papistes vous vous trompez. Les réformateurs et les papistes, c’est
du pareil au même. Vous élaborez des croyances que vous contraignez le peuple à
adopter sous peine de mort, tout en vous efforçant d’acquérir pouvoir, terres
ou argent, ce qui est votre réel dessein à tous.
— Ce n’est pas le mien.
— Peut-être. Vous avez bon cœur et je n’ai pris aucun
plaisir à vous mentir. Mais pour ce qui se passe en Angleterre en ce moment
vous êtes aussi aveugle qu’un chaton nouveau-né. » Dans sa voix, la pitié
se mêlait à la colère. « Vous devriez voir les choses par les yeux des
gens ordinaires, mais les hommes de votre classe
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