Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
bientôt pouvoir prendre place sur l’un de ces bancs encerclant la scène. Hercule se prépare. Je l’aperçois là-bas, dans la coulisse, derrière une haie de verdure, en compagnie de Molière et de sa troupe, les membres de l’Illustre-Théâtre. Ces derniers sont les invités d’honneur de notre jeune artiste. Ils vont l’accompagner dans son récital, lui donner la réplique, égayer l’auditoire en milieu de programme.
Monsieur Hubert de Gaillusac, en habit céladon, triomphe du haut du perron, d’où il reçoit hommages et civilités, sa charmante épouse Adélaïde à son bras. À ses côtés, je reconnais aux descriptions du cardinal nos deux nouveaux satellites de la Cabale, saint Roch et son chien : madame Edwige de Bellerasse et monseigneur l’abbé Grégoire de Ravigneaux, le prêcheur et la prêtresse. La belle Edwige peut effectivement faire tourner plus d’une tête. Cette grande blonde aux cheveux tressés, portant la mouche au coin des lèvres, une croix de diamant autour du cou, le sein frémissant sous le carcan du corset, c’est le feu et la glace. Sa robe, aussi noire que celle de son voisin le directeur des âmes, fait ressortir sa pâle carnation, la rougeur de ses lèvres, appétissantes et gorgées de sève comme deux cerises arrivées à pleine maturité, fruits défendus ne demandant pourtant qu’à être mordus à pleines dents. Elle est adorable dans son rôle de mère des pauvres, séduisante en diable, débordante de compassion. Elle envoie jouer une petite cour d’enfants domestiqués pour l’occasion. Cette couronne d’orphelins doit servir d’exemple, ouvrir les cœurs et les coffres. Ils tournaient autour de sa robe comme des moineaux affamés aux abords de la main nourricière. À ses côtés, notre abbé gronde gentiment, bénit publiquement cette méchante petite race encore bien indisciplinée.
Nous montons. Monsieur Tancelin me précède.
Notre hôte ne croit pas nous reconnaître et s’apprête à se demander qui sont ces visiteurs qu’il ne se souvient pas avoir invités à la divertissance et à la dansière , quand Fortunio lève la mainet coupe court à toutes les interrogations. Ce signal de convention – la main levée – avertit notre cocher changé en valet de passer au devant. Il marchait en effet dans notre ombre – ainsi que dans celle du cardinal –, porteur d’une lourde cassette. Et monsieur Tancelin s’explique, alors que notre ambassadeur des Importants – monsieur de Gaillusac – reçoit dans les mains cette boîte grande ouverte, dissipant tout malentendu :
— Cher monsieur, laissez-moi me présenter : Gilles Tancelin. Armateur, amateur d’art, et défenseur des justes causes. Voici, à mes côtés, dit-il en m’introduisant, le père abbé Bernardin du Querroy, mon confesseur, un confesseur qui fut également celui de feu mon père, Dieu ait son âme. Pardonnez notre entrée pour le moins cavalière, mais les nouvelles vont vite, à Paris plus qu’ailleurs. Sachant que madame de Bellerasse, présente à vos côtés – je la salue humblement –, allait être des vôtres, espérant peut-être recevoir ce soir quelques dons charitables, je ne pouvais manquer l’occasion de lui adresser les miens. J’espère que vous pardonnerez mon impudence…
Ce disant, Fortunio s’incline, et s’apprête – d’après mes consignes –, à quitter la place.
— Restez, de grâce, intervient aussitôt monsieur de Gaillusac, fort ému (je dois bien l’avouer). Vous êtes nos invités, messieurs, cette demeure est la vôtre.
Nous acceptons. La belle Edwige s’avance, reçoit nos hommages, son complice loue notre générosité. Notre geste est exemplaire .
— Pour tout vous dire, poursuit Fortunio qui joue son rôle à merveille, mon père m’avait adopté, je suis moi-même un enfant trouvé. Tous les orphelins sont mes frères.
Mon condisciple l’abbé de Ravigneaux m’adresse quelques mots, mais, ayant mangé de la vache, j’entends par les cornes. Monsieur Tancelin s’en explique :
— Excusez-le, mais il est absolument sourd.
— Diable, dit alors le jeune abbé, cela ne doit être guère pratique pour vous recevoir en confession !
— Au contraire, mon père, répond Fortunio. Je suis ainsi certain de n’être point jugé par un homme tout en étant entendu par Dieu.
Ces paroles échangées, nous pouvons circuler librement. J’abandonne Fortunio qui se mêle à la ruche des courtisans, et je medirige vers le
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