Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
l’aventurier.
Quelques instants plus tard, nous la voyons descendre par la corde.
— Elle a tout perdu, me dit Amadéor. Plutôt que de faire face, elle choisit de s’enfuir. C’est se jeter au feu pour éviter la fumée. Car au bout du fossé, la culbute, le jugement de Dieu.
Don Juan se cache avec moi, dans l’ombre, contre la pierre.
Mon compagnon attend qu’elle ait mis pied à terre.
Edwige comprend son erreur.
Elle essaie de fuir, elle trébuche. Don Juan la saisit par les cheveux et la traîne à terre.
Marie !
Au même instant, le grappin tombe. Je lève les yeux. Là-haut, maître de La Hache vient de faire tomber la corde pour empêcher nos poursuivants de nous rejoindre. Mais le maître est au pied du mur. Le peu que je puisse voir me permet d’imaginer la scène de l’autre côté des créneaux, à trois cents pieds de hauteur. L’épée souffle, elle abat, elle décapite, elle tranche, sans relâche. Les corps mutilés tombent par pièces, certains basculent dans le vide, à quelques pas seulement, avec un bruit sourd, s’ils chutent dans l’herbe, ou dans un horrible craquement s’ils finissent de se rompre sur le roc.
Don Juan relève la tête de sa prisonnière et la somme de contempler ce massacre, ce massacre né de son intervention :
— Regarde ! dit-il.
Cette tour, Majesté, c’est une montagne. Au sommet l’ours envoie ses coups de patte, fait tomber les chiens de la meute, les coupant en deux, leur ouvrant le corps. Mais bientôt les chasseurs, les piquiers portent leurs lances à ses flancs, on l’écorche, on le blesse, on le vide de son sang par cent plaies à la fois… et lui rugit encore.
On le pousse vers le vide, au dos du rocher. Il rassemble ses dernières forces, porte ses derniers coups, les plus terribles, les plus violents. Mais s’il donne encore, il reçoit de plus en plus, de partet d’autre. On s’acharne sur le géant, resté debout, demeurant objet de terreur. Une pique porte le coup de grâce.
Cette fois, le bourreau est prêt à expirer et son souffle fait trembler la muraille, son cri fait tonner les cieux. Oui, le Ciel se prépare à recevoir ce maître de la hache, il répond à son agonie, il craque, se fend comme un drap qu’on déchire. Au loin, Dieu brandit son propre glaive, l’éclair traverse les nues, trait de lumière, lame de feu, pont d’or rattachant la terre ou séjour des immortels. Le cri de ce titan, son adieu, c’est un appel, un mot, un nom : Marie !
Marie la rouge , Marie l’amante, Marie la hors-la-loi tombée sur l’échafaud.
Germain de La Hache est mort le bras levé. Son âme monte vers les plus hauts degrés et son glaive tombe à nos pieds.
Martyre , l’épée de justice tourna dans les airs, avant de se ficher au sol, pointe en avant.
Amadéor l’a devant lui, à porté de main.
Sans lâcher sa proie, il la retire de la terre. »
Cette femme a souillé son nom de femme
— Sire, dit d’Artagnan, je suis navré, mais il est bien tard et la nuit – celle que nous traversons ensemble dans ce récit – ne fait que commencer. Il faut nous dire à demain. Encore une fois, je suis désolé de vous quitter en si dramatique instant.
— Il va la tuer, n’est-ce pas ? demande le roi, un jeune roi qui s’est déjà mis au lit, à la fois terrifié et fasciné par tout ce qu’il vient d’entendre et tout ce qui va se produire.
— J’ai vu cet homme, dit d’Artagnan, sous bien des aspects : comme il se montre et comme il est, avec ou sans masque, mais jamais encore je n’avais lu semblable expression sur son visage, pareil regard dans ses yeux. Il semble obéir à une voix intérieure que je crois pouvoir entendre mot à mot :
Cette femme a souillé son nom de femme
Cette femme a été jugée et reconnue coupable.
Elle sera traînée jusqu’au billot pour y avoir la tête tranchée. Bourreau, fais ton office .
— Je vais demander à votre mère qu’elle vienne vous embrasser, Sire, et qu’elle vous lise peut-être quelques pages pour vous changer les idées. Quant à moi, je vous dis à demain.
— Que Dieu vous garde, chevalier.
— Merci, qu’il en soit de même pour Votre Majesté, dit d’Artagnan en se retirant de la chambre.
Chapitre quatre
Avant de partir…
Étonnamment, le roi a bien dormi. Il est prêt à recevoir son chevalier.
Mais d’Artagnan ne peut le rejoindre qu’en fin de matinée.
Le roi a dû jouer avec son frère. Mais Philippe est lâchement abandonné,
Weitere Kostenlose Bücher