Douze
quand ils étaient à la maison ? Assez malins pour ne pas pisser sur leur propre porte ?
— Non, ce n’est pas cela, répondit Dimitri avec résignation. Je voulais juste dire que ma perception de la chose était différente. Eux étaient pareils.
Dimitri marqua une pause, mais il était évident qu’il avait davantage à dire.
— Pareils ? l’invitai-je.
— Quand je t’ai parlé, un peu plus tôt, de la Valaquie, de la rencontre avec Zmiéïévitch, il y a quelque chose que je ne t’ai pas dit.
Il s’interrompit de nouveau.
— Alors, dis-le-moi maintenant, dis-je.
— Tu te rappelles que j’ai dit que Piotr, Andreï, Ioann et Varfolomeï étaient les seuls qui restaient de l’époque où je les avais rencontrés pour la première fois ?
J’acquiesçai.
— Eh bien, ce n’était pas tout à fait vrai. Après cette première nuit, quand Zmiéïévitch et les autres nous ont sauvés des Turcs, nous avons commencé à travailler ensemble. Nous fouillions les montagnes le jour, localisant les Turcs puis les indiquant à Zmiéïévitch de façon que lui et les autres puissent s’occuper d’eux la nuit ; exactement comme nous l’avons fait à Moscou.
»Mais au bout de quelques jours, l’un des Valaques a disparu ; deux jours plus tard, un autre. En moins d’une quinzaine de jours, il n’en restait plus que deux, sur une dizaine au départ. Je n’ai jamais vu les vampires les prendre mais, d’une certaine façon, je l’ai deviné en écoutant ce qu’ils disaient ; ce que Zmiéïévitch disait. Je ne pouvais pas être totalement certain jusqu’à cette année, lorsque nous étions à Moscou et que j’ai rencontré pour la première fois Foma. Je savais que je le reconnaissais, mais il n’était pas parmi les vampires qui chevauchaient aux côtés de Zmiéïévitch à l’époque. Puis j’ai compris. C’était l’un des Valaques qui chevauchaient à mes côtés ; celui qui était allé à la porte du château et qui avait appelé Zmiéïévitch. Il avait été transformé en l’un d’entre eux. Je ne pense pas qu’aucun des autres ait été assez chanceux pour rejoindre les prédateurs – ils n’étaient que des proies.
— Je ne suis pas certain que tu puisses qualifier l’un ou l’autre de ces sorts de « chanceux », dis-je amèrement.
— Non, non, tu as raison, bien entendu. Mais, comme je l’ai dit, cela ne semblait pas si terrible alors. Qui étais-je pour discuter si les vampires valaques choisissaient de tuer des paysans valaques ? Remarque… Quand j’ai quitté Zmiéïévitch et rejoint l’armée, la dernière chose dont je me souviens, tandis que je m’éloignais, est le regard de terreur et de trahison dans les yeux de ces deux derniers Valaques.
J’étais horrifié. Jusqu’à présent, j’avais cru que Dimitri avait été dupe, que, malgré ce que je savais, il n’avait jamais eu de raisons de soupçonner ce qu’ils faisaient dans notre dos. Maintenant, je savais qu’il s’était bercé d’illusions tout du long.
— Pourquoi ne sont-ils pas partis eux aussi ? demandai-je.
C’était une question banale.
— Je ne sais pas. Ils respectaient Zmiéïévitch autant qu’ils le craignaient. Qui sait, peut-être sont-ils bien vivants, même aujourd’hui…
J’émis un petit rire.
— Ou peut-être pas, marmonna-t-il.
Dimitri se leva avant moi et je fus réveillé par le bruit qu’il faisait en harnachant son cheval.
— Tu es pressé de continuer lui ? demandai-je.
— Je ne t’accompagne pas.
— Je vois, dis-je.
— J’ai peur, Alexeï. (Sa voix tremblait tandis qu’il exprimait la terreur qui l’habitait.) Ils ne montreront aucune pitié envers moi.
Ni envers toi. Viens avec moi, Alexeï, rentrons à Moscou. Tu n’as pas besoin de les confronter. Nous ne pouvons pas faire revenir Vadim ou Max. Tout ce que nous pouvons faire, c’est mourir comme eux. Ils ne nous demanderaient pas cela.
Son hésitation était tout à fait raisonnable. Max n’aurait pas vu l’intérêt de prendre une revanche – de menacer de le faire, oui, mais pas de le faire effectivement. Vadim aurait compris l’instinct, mais il aurait conseillé la retenue. Toutefois, je n’étais pas motivé par la raison, mais par la haine. Je ne pouvais pas davantage rationaliser la passion qui me conduisait à poursuivre et éradiquer les Opritchniki survivants que celle qui me conduisait à faire l’amour à Domnikiia alors que j’avais une épouse aimante à la
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