Duel de dames
les mots qui
consolent, ne pouvant se consoler lui-même. Mais leur secret était aujourd’hui
entre de mauvaises mains. À exposer sa propre vie, il exposait la sienne ;
rester serait compromettre la reine. Il aurait voulu porter le fardeau de la
souffrance d’Isabelle avec le sien, jusqu’à en mourir pour l’en soulager. Et
pourtant c’était de lui qu’elle souffrait. Il n’était plus son rempart, il
était son bourreau, le piège mortel de son désir insensé où il l’avait
emprisonnée. Il lui fallait se reprendre.
Il la repoussa doucement, l’arrachant à lui comme
il arrachait son âme.
— Tu partiras donc ? lui demanda-t-elle
avec un espoir misérable.
Il prit son visage entre ses paumes, plongea son
regard dans les yeux ravagés d’Isabelle, et déposa sur ses lèvres un baiser
chaud et doux, un chaste baiser. Déjà elle se tendait vers lui, entrouvrait la
bouche, mais il s’était écarté.
— À votre salut, madame ! murmura-t-il
en s’inclinant.
Puis il lui tourna le dos, et sortit du retrait
avec une raideur inaccoutumée, celle des corps infirmes qui se contraignent à
maîtriser leur calvaire.
Alors que le petit retrait de la reine
retentissait du cri de sa douleur, l’hôtel de la Pute-y-Muse résonnait des
clameurs de Valentine Visconti. Elle était hors d’elle-même, échevelée, hystérique,
inconsolable. Sa superbe haquenée, Bethsabée, venait de crever à force de
tenter d’expulser de son ventre un poulain récalcitrant à venir au monde. Rien
n’y avait fait, ni les fumigations, ni les amulettes, ni les oraisons et l’eau
bénite, le jeune animal était mort avec la mère. Il n’était pas plus aimé que
le palefroi des princes, entouré de tous leurs soins, bien plus que ceux qu’ils
accordaient à leurs gens. Cavaliers et chevaux participaient du même corps dans
la chevauchée. Le cheval était l’orgueil de la représentation, le symbole, par
leur race et la richesse de leur harnachement, de la puissance du seigneur. Leur
trépas était toujours un drame, et pour la duchesse d’Orléans c’était une
tragédie. C’était juchée sur sa fougueuse Bethsabée qu’elle était apparue en France,
qu’elle avait chevauché, auprès de la litière de la reine, à travers Paris, lors
du sacre de cette dernière, afin que tous la voient et la reconnaissent en
noble et fière cavalière.
— Où trouverai-je en France une pouliche à ma
mesure ? Il n’y en a qu’une qui peut rivaliser avec ma Bethsabée, c’est l’alezane
de la reine.
Valentine déversait son chagrin avec la volubilité
de son tempérament italien, au milieu de ses dames milanaises et de ses
chambellans, tous navrés de la mort de la jument. Le sire de Craon l’observait,
tout agitée de pleurnicheries dans sa tenue légère du dedans. Il n’avait jamais
remarqué, comme aujourd’hui, la propension de la duchesse d’Orléans à se tenir
presque nue en ses appartements, il y vit là soudain une provocation à son égard.
Les insinuations de Bois-Bourdon avaient déjà fait leur chemin. Il était trop
imbu de lui-même pour avoir flairé la nasse qui lui était tendue. Déjà se
souvenait-il, lors du petit souper du roi, comment elle l’avait retenu quand il
voulait quitter les lieux ? et ses yeux mouillés, n’était-ce que des
larmes de rire ? Tout lui devenait signifié et signifiant. Les dames se
devaient de dissimuler leur désir, mais lui, Pierre de Craon, saurait bien
décrypter les appels dérobés de l’amoureuse et attendre son heure.
Il sursauta quand Louis d’Orléans s’approcha, se
sentant déjà coupable.
— Je m’absente un moment, lui glissa-t-il. Tu
sais combien j’ai horreur des larmes de femelles.
— Où vas-tu donc ?
— Me faire payer mon gage.
Isabelle s’était enfermée dans sa chambre pour y
lover son profond désespoir, enfouir sa solitude par la solitude. Elle avait
donné l’ordre que personne ne la dérangeât sous aucun prétexte. Aussi fut-elle
surprise lorsqu’elle entendit toquer à sa porte.
— Pardon, Isabelle, dit la voix étouffée de
sa chambellane, mais il faut que tu saches que M gr d’Orléans
est céans, il insiste pour t’entretenir.
Louis voulait lui parler ? Un fol espoir la
jeta à bas de son lit.
— Fais-le patienter, et reviens m’aider, Catherine,
je ne suis pas à voir en l’état.
Elle se précipita vers sa table à atourner, son
miroir d’argent poli lui renvoya l’image désolée de
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