Elora
instant, Mathieu crut défaillir face à ces traits ruisselant d’eau claire. Un instant seulement. Car si Algonde et Mélusine étaient semblables de visage de par leur parenté, c’était tout ce qu’il pouvait concéder de beauté à la femme-serpent. Refusant l’appel du regard désespéré, il s’empara de la main de son fils et déguerpit pour lui échapper.
— S’il te plaît, Mathieu, s’il te plaît… implora la créature.
Cette voix. Traîtrise. Mensonge. Mathieu s’interdit d’y succomber.
Petit Pierre était à bout de souffle. Il volait presque, accroché à cette paume qui écrasait la sienne, malgré l’étroitesse du passage. La rivière paraissait trop peu profonde pour que Mélusine l’emprunte, mais Mathieu n’était plus sûr de rien désormais. Ils arrivèrent enfin devant le tunnel conduisant à la salle d’entrée.
— Il ne faut pas avoir peur de moi, leur porta l’écho étouffé.
Ils étaient hors d’atteinte. Mathieu tomba à genoux, épuisé de lutter contre sa propre douleur, contre cet appel insidieux en lui qui, sans son fils, l’aurait sans doute poussé à y retourner. Retourner et mourir. Car tel serait le prix pour pouvoir contempler encore la copie du visage de sa bien-aimée.
À bout de souffle, Petit Pierre s’était laissé choir sur le sol. Son poignet lui faisait si mal qu’il le pensait brisé. Des larmes de douleur et d’angoisse vrillaient son visage. Mathieu se désola.
— Tu es le seul qui me reste Petit Pierre. La seule personne que j’aime en ce monde. Alors, je te le demande : quoi qu’il advienne, n’y retourne jamais.
— Jamais, répéta Petit Pierre.
Au moment où ils se levèrent pour rentrer, une mélopée explosa sous la voûte, relayée par l’eau vive à leurs pieds. Si pure, si bouleversante de détresse qu’ils se mirent à courir de nouveau pour lui échapper.
*
Dès le premier coup de reins, il s’enflamma d’une lubricité excessive. Était-ce ce chant qu’elle glissait à son oreille, son parfum d’eau vive ou la texture ferme de sa peau, il n’aurait su le dire, mais son excitation atteignit son paroxysme au bout de quelques secondes sans qu’il parvienne à la soulager d’aucune manière. Elora n’en avait cure. Elle ne ressentait rien qu’elle ne voulait ressentir. N’éprouvait rien qu’elle ne s’autorisait. Tout au contraire, elle s’amusait de cet homme, sans doute le plus puissant au monde, qui s’épuisait sans parvenir à ses fins.
Lorsque, une bonne heure plus tard, elle le comprit à bout de souffle, le cœur prêt à lâcher, elle tut sa mélopée et le repoussa sur le côté. Il se laissa tomber sur le dos, en nage, les cernes profondément creusés, la face écarlate, la poitrine barrée d’une douleur aiguë, les mains crispées sur les draps. Ses reins continuaient de frémir, son vit de se dresser. Son esprit de s’embraser.
Elora écrasa le torse du pape de son coude et essuya d’un coin de drap la sueur qui dégoulinait sur son crâne tonsuré. Elle se réjouit de voir passer un éclair de panique dans ses yeux. Alexandre VI avait cessé de douter des pouvoirs qu’elle possédait.
— Je crois qu’il est inutile de te rappeler que le mariage d’Hélène de Sassenage et d’Aymar de Grolée doit au plus tôt être annulé, n’est-ce pas ?
Il voulut acquiescer mais en fut incapable, tant la douleur le vrillait. Elora lui sourit, cette fois avec bienveillance.
— Pas un mot non plus de ce joli valet turc, nous sommes bien d’accord.
Un râle jaillit de la bouche du pape. Elora l’accepta comme un assentiment.
Elle se redressa, quitta la couche et se rhabilla, prolongeant sans plaisir la torture qu’elle lui infligeait encore. Lorsqu’elle fut prête, elle se tourna vers son regard suppliant.
— Je vais te délivrer, Rodrigo Borgia, mais avant, pour te prouver que je ne t’en veux pas, je vais te donner un conseil. Prépare-toi. Tu n’as acheté qu’un seul des Orsini. Virginio, le condottiere, ne va pas apprécier que des Turcs soient reçus fastueusement dans sa propre ville de Naples. Surtout pour s’allier à ton cher ami le roi Alphonse contre les Français ! C’est un fervent chrétien, lui. Je crains fort qu’il n’incite les siens à soutenir le roi Charles. Avec Anguillara et Bracciano, tes frontières vont s’abattre. Et comme si cela ne suffisait pas, cette chère Julie Farnèse risque fort de tomber entre de mauvaises mains. Mais bien
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