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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Il s’agissait plus vraisemblablement de la fille de la maison, une veuve, et non de l’épouse.

    *****
    Comme à son habitude, pendant des heures, Eugénie avait épié les bruits de la maison depuis son lit. L’absence de son mari libérait toujours son imagination morbide, elle mettait en scène les amants. La porte refermée, à six heures, annonça son retour.
    Machinalement, la malade consulta sa montre. Depuis son fauteuil, Gladys demanda :
    — Je peux faire quelque chose pour vous, madame ?
    — Oui. Je ne me sens pas la force de descendre, ce soir.

    Auriez-vous la gentillesse de m’apporter un repas léger ?
    — Bien sûr, je m’en occupe tout de suite.
    Après tout ce temps dans la chambre de la malade, l’infirmière voyait comme une détente l’occasion d’échanger quelques mots avec la cuisinière et la bonne.
    — Avec qui passe-t-il des après-midi complets ? murmura Eugénie à haute voix quand elle fut seule. Il doit se sentir bien fringant. Je ne suis pas morte encore, et il vit une lune de miel avec une putain.
    Au moins, elle comptait bien pouvoir mettre un nom sur cette femme. Douter ne lui suffisait plus.

    *****
    Finalement, la petite auto verte avait traversé le village de Sainte-Marie-de-Beauce au milieu de l’après-midi, et avant le souper, le couple approchait des Etats-Unis. La petite bâtisse des douanes américaines se dressa à un tournant de la route.
    — Cela me fait tout drôle de m’arrêter là, déclara Louis.
    Tu ne préférerais pas faire un petit détour par un chemin de traverse, loin de ces représentants du gouvernement?
    Nous pourrions même nous arrêter juste sur la ligne pour nous embrasser.
    — Cesse de dire des choses comme ça. Tu sais que je m’inquiète de ta situation.
    Ces «choses comme ça» couvraient toute une gamme de possibilités, parmi lesquelles une arrestation de son amant figurait au premier rang. En robe bleue, Thalie portait un chapeau de paille retenu sur sa tête avec une écharpe en soie. Elle incarnait très joliment une nouvelle espèce humaine : les touristes. En s’arrêtant devant le petit poste de douane, Louis récupéra son portefeuille dans sa veste pour en sortir son permis de conduire.
    — Bonjour, officier, dit-il en le tendant au planton.
    Il s’exprimait dans un anglais lourdement accentué.
    — Monsieur... Greenwood. Et madame?
    — Madame Greenwood, évidemment.
    Le préposé voulut ensuite savoir ce que le couple entendait faire aux Etats-Unis. Puis il leur fit signe de continuer leur route.
    — Monsieur Greenwood ? ricana la jeune femme quand elle fut certaine que tous les douaniers du monde étaient hors de portée de voix.
    — Quoi, tu me vois en train de leur expliquer comment prononcer Boisvert ?
    — Préfères-tu expliquer aux policiers de chez nous comment prononcer un nom anglais ?
    — Mais j’ai un autre document pour nos amis de la province de Québec.
    Cet homme se promenait avec deux permis de conduire, sans doute tout aussi faux l’un que l’autre. Elle ne pouvait même pas être certaine de la véracité du patronyme Boisvert.
    Résolue à profiter du beau temps et de la dizaine de jours de congé devant elle, Thalie choisit de continuer, gouailleuse :
    — Tu ne m’as jamais parlé de cette madame Greenwood.
    — Elle est charmante. Une petite brune. Elle ne fera pas sourciller les propriétaires d’auberges et d’hôtels, comme ce serait le cas avec une demoiselle Picard. Miss Picard, répéta-t-il en affectant un accent américain.
    Son compagnon avait raison. N’en déplaise aux curés québécois, les Américains demeuraient assez moraux pour sourciller devant des jeunes célibataires partageant la même chambre. Avec ostentation, elle tourna la bague de son auriculaire pour mettre la pierre à l’intérieur de sa main.
    — Toi, tu n’as rien prévu pour donner le change.
    — Comme tu ne me fais pas confiance !
    Tout en tenant le volant d’une main, Louis fouilla un instant la poche intérieure de sa veste, en exhuma un petit anneau en fer-blanc.
    «Combien de fois l’a-t-il utilisé?», songea-t-elle. De nouveau, d’un mouvement vif de la tête, elle chassa cette pensée. Elle tenait à cette parenthèse de dix jours dans sa vie.

    *****
Le lendemain, pendant tout le repas, Eugénie posa des yeux fiévreux sur le stagiaire. Heureusement, le petit Charles attira toute l’attention sur lui en donnant libre cours à son excitation. Dans quelques jours, il vivrait une

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