Favorites et dames de coeur
intérêt ; Marie-Isabelle s’imagina un peu vite qu’il l’aimait. Aussitôt jalouse, Mme de Montespan craignit que l’élégante chanoinesse ne la détrônât : elle répandit le bruit que Marie-Isabelle avait le corps couvert de dartres, voire « la gale, la lèpre et toutes les maladies imaginables 157 » . Sans insister sur le moment, le roi ne crut pas un mot de l’histoire. Il se promit de vérifier l’anatomie de Mme de Ludres, une fois que la méfiance de sa favorite serait assoupie. Curieusement, cette occasion lui fut donnée à cause d’une obligation imposée par son confesseur. Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables…
Afin d’obéir aux commandements de Bossuet et du père de La Chaize, Louis XIV cessa effectivement de fréquenter Mme de Montespan, de Pâques 1675 à juillet 1676. Son riche tempérament le força à « s’intéresser » à d’autres dames, qui ne demandaient du reste que cela, espérant détrôner Françoise de Montespan de sa position inexpugnable. Il courtisa la belle Lorraine, d’abord en tout bien tout honneur, et l’on rima bientôt :
La Vallière était du commun,
La Montespan était de la noblesse,
La Ludres était chanoinesse.
Toutes trois ne sont que pour un :
C’est le plus grand des potentats
Qui veut assembler les états.
Les avis divergent à propos de la date précise où elle lui aurait cédé, d’ailleurs avec une hâte suspecte : l’été 1675 ou l’automne 1676 ? Quoi qu’il en fut, le roi avait pris l’habitude de tromper Mme de Montespan absente. L’infidélité commise avec Mme de Ludres n’avait toutefois pas transpiré, hors les intéressés et le valet de chambre du roi. Mme de Montespan l’apprit lorsqu’elle recouvra son empire sensuel sur le souverain.
« Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours …»
Acceptant mal le fait accompli, cette femme d’esprit s’évertua à ruiner le crédit de Marie-Isabelle dans l’estime du roi. Sans doute moqua-t-elle son fort accent lorrain, évoqué dans la correspondance de Mme de Sévigné. Sa féroce jalousie lui fit également dire des méchancetés : elle n’appela plus sa rivale que « le haillon ». Elle ne pouvait cependant empêcher Louis XIV de croiser Mme de Ludres, au service de Madame, ni de lui interdire des passades avec elle : l’altière marquise se trouvait enceinte une fois de plus, donc momentanément « indisponible ».
Grosse de huit mois, Mme de Montespan s’absenta de Versailles de mars à mai 1677, invitée avec le jeune duc du Maine au château de Maintenon. Le roi s’était rendu aux armées, prenant Cassel et Saint-Omer aux Espagnols. Restée à Versailles, Mme de Ludres envisageait l’avenir avec une telle confiance qu’elle commit deux irréparables bourdes.
La première fut d’ébruiter sa liaison, feignant même d’être enceinte, et de profiter du départ de la marquise de Montespan pour se pavaner à la cour. La fausse rumeur de son élévation lui valut la considération obséquieuse des privilégiées du tabouret ; selon Primi Visconti, elles se levaient à son arrivée en signe de respect – ou de brigue – même en présence de la reine !
Seconde erreur, corrélative de la précédente, elle se permit d’écrire directement au roi, chargeant le marquis de Montataire de porter la lettre à son quartier général. Or, Louis observait un secret absolu sur ses relations avec Mme de Ludres et n’appréciait aucunement le messager qu’elle avait choisi. Furieux de l’indiscrétion hardie dont elle venait de se rendre coupable, au su et au vu de tous, le roi rompit net avec la chanoinesse. La cour l’imita et tout le monde bouda l’imprudente, ridiculisée de surcroît par le bruit de sa fausse grossesse.
Le pire restait à venir. Relevée de ses couches, Mme de Montespan retourna à Versailles. La considération marquée du roi et de la cour fut pour elle une revanche éclatante : « Ah, ma fille, quel triomphe à Versailles ! Quel orgueil redoublé ! Quel solide établissement ! Quelle duchesse de Valentinois 158 ! […] Quelle reprise de possession ! », écrivit Mme de Sévigné à Mme de Grignan (11 juin 1677). La marquise criblait sa rivale de sarcasmes et « riait de ce qu ’ elle [Mme de Ludres] avait l’audace de se plaindre d’elle ». Se rendant à la messe quelques jours plus tard, le roi adressa quelques paroles courtoises, peut-être par charité, à la
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