FBI

temps encore, pas longtemps… »). La marche est un triomphe. Elle va se terminer en catastrophe pour le FBI.
    Entre Selma et Montgomery rôdent d’inquiétants prédateurs qui comptent agir à la faveur de la nuit : quatre tueurs du Ku Klux Klan patrouillent à bord d’une Ford Impala bleue, à la recherche d’une proie facile à « évangéliser » à coups de flingue : de préférence un nègre, voire un « nègre-blanc », ou mieux encore les deux. Non loin de Selma, ils repèrent une Oldsmobile avec à son bord une femme blanche et un jeune Noir. Elle s’appelle Viola Liuzzo, c’est une militante venue de Detroit, dans le Michigan. Elle vient de déposer des manifestants chez eux et s’apprête à faire de même pour le jeune Leroy Moton.
    L’Impala des prédateurs prend en chasse l’Oldsmobile, la rattrape, la dépasse et ralentit, une fois à sa hauteur. Les vitres s’abaissent, les canons des armes sortent. Le chauffeur hurle : « OK, les gars, allez-y, tuez-les ! » Un bruit assourdissant, des éclairs : les prédateurs tirent quatorze balles sur l’Oldsmobile, qui quitte la route 80 et achève sa course contre une grossière clôture à brebis. Affalée sur le volant, Viola Liuzzo est morte de deux balles dans la tête. Leroy Moton s’enfuit dans la nuit à toutes jambes.
    Les prédateurs sont déjà loin. Ils hurlent de joie. « Je suis un sacré putain de tireur ! » crie l’un des hommes du Klan. Une espèce de brute effrayante occupe plus de la moitié de la banquette arrière de l’Impala. Il s’appelle Gary Rowe, c’est un special du FBI.
    Tom Burns a tout d’un bon agent « Cointelpro » ; il est malin, rusé, vif, et tient raisonnablement l’alcool. On comprend qu’il a été sur bien des dossiers « Cointelpro », mais qu’il ne parlera jamais de ce qu’il a vu ni de ce qu’il a fait. Il est des zones obscures de la mémoire qu’il vaut mieux ne pas arpenter. Mais l’affaire Gary Rowe est de ces blessures qui ne cicatrisent pas avec le temps, et il a du mal à éviter le sujet : « Le but du FBI était de neutraliser le Klan, explique-t-il. Pour lutter contre des groupes comme le Klan, vous avez besoin d’informateurs. Vous recrutez des gens qui sont dans le Klan ou qui gravitent autour. Et ça a marché : je peux vous garantir que le FBI avait bon nombre d’informateurs au sein du Klan. »
    Combien ? Bien malin qui pourrait le dire, le FBI n’ayant pas déclassifié tous ses dossiers sur le Klan. Un chiffre revient souvent : 2 000. Cela signifierait que 20 % des membres du Klan étaient contrôlés par le FBI.
    Quelques heures après la découverte du corps de Viola Liuzzo, l’agent résident de Selma reçoit un appel du SAC de Birmingham, à plus de 150 kilomètres de là. Il a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : le meurtre de Viola Liuzzo est résolu, tous les assassins sont arrêtés. La mauvaise : parmi eux se trouve un special du FBI, Gary Rowe. Les agents du FBI sont atterrés. Aujourd’hui, Tom Burns voit le verre à moitié plein et parle d’un « succès extraordinaire » : un meurtre résolu en quelques heures, voilà qui est digne du Livre des records. Oui, mais à l’époque il voyait plutôt le verre à moitié vide : un meurtre auquel un special du FBI prend part, c’est aussi digne de figurer dans le livre en question, mais à une autre rubrique.
    Dans les heures qui suivent, J. Edgar Hoover informe le président Johnson du rôle de Gary Rowe. Il ne lui cache pas que Rowe n’est pas un informateur comme les autres : « C’est une de ces personnes qu’on a infiltrées, juste comme on a fait pour le Parti communiste. »
    Gary Rowe est longuement interrogé par les agents de Birmingham. Tom Burns ne le verra que bien après. Que lui a-t-il dit ? Lui a-t-il conseillé d’affirmer que, lors de la fusillade, il a bien pris soin de tirer au-dessus de l’Oldsmobile de Viola Liuzzo ? On ne saurait le jurer.
    « Ils avaient tous des armes, déclare Tom Burns. Ils ont tiré. Rowe devait aussi tirer pour préserver sa crédibilité. Mais il a tiré au-dessus de la voiture, il n’a pas tiré sur Viola Liuzzo. »
    Le laboratoire du FBI atteste que la balle mortelle extraite du cerveau de Viola Liuzzo n’a pas été tirée par Rowe. Le Bureau a eu chaud, très chaud !
    Gary Rowe a rejoint la klavern  13, celle du quartier sud de Birmingham (Alabama), en 1959. Comme tous les nouveaux venus, il a dû faire