FBI

bien. Il rassemble les maigres informations dont le Bureau dispose sur ce fils de bonne famille de Denver. Il a en sa possession la clef de la chambre du motel qu’occupe Hinkley. Mais, avant de se précipiter, il a besoin de réfléchir.
    John Hinckley a été arrêté en flagrant délit, mais Frank Waikart sait qu’une enquête comme celle là peut facilement déraper, au risque de voir un tribunal prononcer un non-lieu pour erreur de procédure. Contrairement aux autres métropoles, de nombreuses polices sont compétentes pour poursuivre les crimes et délits commis à Washington. Le risque est grand qu’une guerre des polices éclate lors de la chasse aux pièces à conviction. Waikart craint avant tout qu’un tribunal ne rejette ces pièces pour vice de forme. Il lui faut savoir précisément ce qu’il recherche, afin de pouvoir rédiger un mandat de perquisition impeccable. Il a donc besoin de quelque chose de plus qu’un simple profil ; il lui faut effectuer une véritable plongée dans l’âme du tueur pour trouver le plus vite possible des éléments de preuve. Le facteur temps est ici essentiel, car la presse ne va pas tarder à débarquer au motel où résidait Hinckley, et elle risque de « polluer » irrémédiablement les lieux. Waikart demande l’aide de la BSU.
    À la BSU, le profileur Robert Kellser s’est spécialisé dans les meurtriers d’hommes politiques. Il hérite donc naturellement du dossier. À partir des éléments que lui communique Waikart, il dresse le profil de Hinckley. Il ne le voit pas comme un tueur à gages, ou comme le membre d’une ténébreuse conspiration. Au contraire, il pense que c’est un solitaire, un introverti. Tout à fait le genre de type qui, sur les campus, n’arrive jamais à sortir avec une fille, n’appartient à aucun club ni à aucune équipe sportive. Ses résultats universitaires doivent être décevants et il se réfugie dans un monde imaginaire.
    À la demande de Frank Waikart, Robert Ressler dresse la liste de douze objets que les enquêteurs sont susceptibles de trouver. Il leur conseille de prêter attention à l’existence d’un journal, d’écrits, de bandes magnétiques où John Hinckley pourrait avoir consigné ses pensées, mais aussi de ne pas négliger ses lectures, qui sont autant de « fenêtres » sur son âme ; le jeune homme pourrait avoir fait, dans les marges de ses livres ou de ses revues, des annotations significatives.
    À l’issue de la perquisition, les agents du FBI constatent avec effarement qu’ils ont saisi les douze objets annoncés par Robert Ressler. Le profileur a visé juste en affirmant que le jeune homme était un malade mental, prisonnier de son univers et rejeté par les autres. John Hinckley est obnubilé par une jeune actrice nommée Jodie Foster, qu’il poursuit de ses courriers depuis qu’il l’a vue dans Taxi Driver , de Martin Scorsese. Dans ce film, le héros, lui aussi psychotique (Robert De Niro), essaie d’assassiner un homme politique américain après être tombé amoureux d’une prostituée adolescente (Jodie Foster). Chez Hinckley, les agents du FBI vont saisir un exemplaire annoté du scénario de Taxi Driver , et des lettres jamais envoyées à Jodie Foster dans lesquelles il fait part de son intention d’assassiner le président des États-Unis. Il pensait ainsi devenir l’égal de la jeune actrice.
     
    Si Robert Ressler a pu sonder aussi bien l’âme de John Hinckley sans l’avoir rencontré, c’est parce que, depuis quelques années, il a entrepris un long voyage au bout du crime. Il interroge systématiquement tous les grands criminels, dont les exécuteurs d’hommes politiques. Il a longuement discuté avec Shiran Shiran, l’assassin de Robert Kennedy ; avec Arthur Bremer, qui blessa grièvement le gouverneur George Wallace ; ou encore avec Sara Jane Moore, qui tenta d’assassiner le président Ford en 1975. Ces entretiens s’inscrivent dans un vaste programme intitulé Criminality Research Project (CRP). Conçu par Robert Ressler, le CRP a pour but d’interroger un maximum de criminels, de les soumettre au crible d’un questionnaire soigneusement préétabli, afin de repérer certaines constantes. Le projet concerne aussi bien les traîtres à leur pays que les tueurs en série. Au début, Ressler travaillait le plus discrètement possible ; les entretiens étaient informels, l’agent de la BSU les conduisait durant ses périodes de repos, généralement