FBI

taille. Les agents du FBI enregistrent toute l’histoire de la mafia de Chicago depuis le début des années 1930. L’Entreprise n’a plus de secrets pour eux. Ils savent les noms, les dates, les sommes. Ils ont relevé les noms des juges, politiciens et policiers stipendiés. Ils notent les crimes, les attaques à main armée, les escroqueries et trafics qui constituent le fonds de commerce de l’Entreprise.
    De tous les parrains, Llewelyn Morris Humphreys est le plus haut en couleur. Il est le préféré des agents du FBI. Membre fondateur de l’Entreprise dans les années 1920, il a pour frère d’armes Alphonse « Al » « Scarface » Capone. Il est chargé des relations avec les politiciens locaux, les hommes d’affaires, les responsables syndicaux. Il est la mémoire vivante de l’Entreprise. Les agents du FBI sont bluffés quand, particulièrement en verve, il égrène ses souvenirs et se lance dans une brillante analyse de l’Entreprise. Chaque matin, c’est lui qui ouvre le Comité de direction de l’Entreprise, dans la boutique du tailleur, par la formule rituelle : « Bonjour, messieurs, et bonjour à ceux qui écoutent. Ceci est la réunion de 9 heures de la pègre de Chicago. » Les agents du FBI ont dû sursauter en entendant ce qui se révélera n’être qu’une fanfaronnade.
    Jamais à court d’anecdotes, Llewelyn Morris Humphreys apporte la réponse à bien des questions que se posent les agents du FBI. Il reconnaît avoir versé « beaucoup d’argent » au Procureur général Tom Clark, en 1947, afin d’obtenir la libération de quatre mafieux de Chicago. À la même époque, Clark a donné l’ordre à J. Edgar Hoover de mettre fin à l’opération « Capga » et de rappeler ceux de ses hommes qui enquêtaient sur le refinancement d’un des casinos de Bugsy Siegel par la Mafia à New York. Difficile de ne pas relever la coïncidence, d’autant plus que, comme toutes les autres organisations mafieuses américaines, l’Entreprise revendique une partie des casinos de Las Vegas. Après avoir lu la transcription de l’écoute, J. Edgar Hoover demande qu’on lui envoie de toute urgence la bande par avion et sous bonne escorte.
    William F. Roemer, l’agent du FBI chargé de coordonner la surveillance des membres de l’Entreprise, se prend d’affection pour Llewelyn Morris Humphreys, qu’il appelle par son diminutif, « Hump ». L’homme est drôle. Les agents du FBI qui lui collaient au train ont eu la surprise de le voir descendre de sa voiture, se diriger vers la leur, ouvrir la portière arrière et s’installer en disant : « C’est idiot, on gaspille de l’essence. Si vous voulez savoir où je vais, le mieux, c’est de m’y conduire ! » C’est ainsi que, un jour durant, Hump a eu pour chauffeur un agent du FBI…
    Au début de l’enquête, William F. Roemer sent sa famille menacée. Sa femme reçoit des coups de fil anonymes on ne peut plus désagréables. Deux hommes suivent ses enfants jusqu’à l’école. Roemer va trouver Hump et scelle avec lui ce qu’il appelle le « pacte des familles » : on ne touche pas aux familles. Dans ses mémoires, l’agent du FBI indique que, par la suite, ce pacte sera élargi aux maîtresses.
    La véritable cible du FBI, c’est le nouveau patron de l’Entreprise, Sam Giancana, dit Mooney. Il vient juste de prendre la place que lui a laissée Tony Accardo, ancien tueur d’Al Capone, réputé pour sa participation au massacre de la Saint-Valentin6. Sam Giancana est malin. Pour le filer, le SAC de Chicago mobilise une dizaine de véhicules. Le premier jour de la filature, Giancana les sème avec brio dans le labyrinthe d’allées et de contre-allées de son quartier résidentiel. Décontenancés, les agents du FBI se rassemblent pour faire le point, quand la voiture de Sam Giancana s’arrête à leur hauteur. La vitre s’abaisse et le parrain leur dit en riant : « Je suis là ! »
    Bobby Kennedy est lui aussi sur les traces de Sam Giancana. Il l’a convoqué pour être interrogé par la commission d’enquête McClellan. Mais Bobby Kennedy a un problème : il doit lui faire remettre en mains propres l’assignation à comparaître, et n’arrive pas à le trouver. Llewelyn Morris Humphreys a prévenu à temps Sam Giancana : il faut qu’il se fasse oublier et reste discret. Si les enquêteurs de la commission ne parviennent pas à le dénicher, ils n’insisteront pas trop. Humphreys dit