Fiora et le Téméraire
compagnon...
– Pour
connaître si bien les chemins, tu es de par ici ? demanda-t-il à Mortimer
qui, sans se soucier de formules de politesse excessives, répondit paisiblement :
– Non.
Je suis du Berry mais j’ai beaucoup voyagé.
– Tant
que ça ? Un bon guide peut être très précieux. Je pourrais sûrement t’employer...
à moins que tu ne préfères rentrer chez toi. A qui es-tu ?
– A
personne. Mais j’ai ma maison et mes habitudes et dès l’instant où ma mission
est remplie...
« Le
diable m’emporte, pensa Campobasso, si ce géant n’appartient pas à la fameuse
Garde Ecossaise du roi Louis ? En ce cas, la belle cousine pourrait
être... une messagère ? » Et comme des valets entraient portant
bassins, aiguières et serviettes, immédiatement suivis de Galeotto qui avait
fait quelque toilette, il déclara :
– Passons
nous laver les mains, ma belle cousine et puis à table !
– Tu
pourrais me présenter ! grogna Galeotto dont la figure, rasée de frais,
montrait quelques estafilades.
– C’est
trop juste. Donna Fiora, voici le seigneur Jacopo Galeotto, de Milan, qui
commande avec moi le corps des Lombards de Mgr le duc de Bourgogne. Donna Fiora
Beltrami, de Florence.
– Ah
Florence ! soupira le capitaine avec âme, je l’ai visitée, jadis quand le
duc Galeazzo-Maria Sforza et la duchesse Bona sont allés visiter les seigneurs
de Médicis ! Quelle fête nous avons eue ! Quelles belles joutes !
Quels vins ! Quelles femmes... C’était en...
– En
1471, il y a quatre ans, dit Fiora avec un sourire en voyant s’éclaircir sous
cette précision qui affirmait sa qualité de Florentine le visage un instant
soucieux de Campobasso. Votre duchesse Bona était bien belle ! Mon père a
eu l’honneur de danser avec elle...
Et l’on
prit place à table en évoquant la splendeur du Magnifique pour le plus grand
plaisir de Fiora, heureuse de pouvoir parler de sa ville bien-aimée, de cette
Florence qui lui avait fait tant de mal et dont, pourtant, l’image et le
souvenir ne quitteraient jamais son cœur...
Deux
heures plus tard, debout dans l’embrasure de la fenêtre étroite de la chambre
où on l’avait conduite, Fiora attendait Campobasso. Elle savait qu’il viendrait
car il n’y avait pas à se tromper sur le regard appuyé qu’il avait eu, tout à l’heure,
en lui baisant la main pour un « bonsoir » hypocrite. Elle y était
résignée car Commynes, sur l’ordre du roi, lui avait tracé, du condottiere
napolitain, un portrait à l’acide d’une extraordinaire fidélité. Elle savait sa
propre situation ambiguë et aussi qu’elle avait affaire à un homme emporté et
sans patience. Si elle se refusait après l’avoir si bien ensorcelé, elle
risquait de le subir de force. Mieux valait lui laisser croire encore qu’elle
était séduite : elle n’en aurait que plus de puissance...
Mais
elle n’avait pas voulu se coucher et c’est debout qu’elle l’attendait. Le lit à
courtines rouges, datant du siècle précédent et au moins assez vaste pour
quatre personnes, que l’on avait ouvert, demeurerait vide aussi longtemps qu’elle
le désirerait. Son orgueil, en effet, refusait de recommencer les prémices de
la scène affreuse vécue chez Pippa, dans le bordel du quartier Santo Spirito :
la fille offerte plus qu’à demi nue, telle une venaison sur un plat-Autour de
ses épaules qui frissonnaient malgré elle, comme si l’on eût été en plein hiver,
elle serrait une écharpe. Elle n’avait pas peur pourtant. Campobasso allait
être le troisième homme à posséder son corps, après Philippe et l’affreux
Pietro. L’un lui avait apporté l’éblouissement de l’amour comblé, l’autre l’horreur
d’un viol sadique dont elle gardait le souvenir épouvanté. Entre ces deux
extrêmes, Campobasso n’avait guère de chance de laisser une trace quelconque.
Elle l’attendait avec l’indifférence qui devait être celle d’une courtisane car
elle acceptait de jouer ce rôle. Son corps était le piège tendu en vue de la
perte d’un prince. Il fallait engluer le condottiere assez fortement pour le
détacher entièrement du Téméraire. Néanmoins, c’était une chance – et Fiora l’admettait
volontiers – que l’homme ne soit pas dépourvu de séduction.
A
Florence... un siècle plut tôt, Démétrios lui avait promis de l’armer pour les
combats à venir et il avait tenu parole. Un soir, sur le bateau qui les
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