Fleurs de Paris
de vous, il y a longtemps que je serais morte. Je
vous dis que je ne dois pas mourir encore. Car, sans cela,
auriez-vous rencontré Jean Nib ? Jean Nib qui me
connaissait ! Est-ce à moi que Jean Nib fût venu dire vue
votre père était vivant ? Est-ce à moi que Jean Nib eût amené
Lise ? Et encore aujourd’hui, comment se fait-il que vous
m’ayez trouvée et que vous soyez là ? Si je devais mourir,
vous ne seriez pas là…
Gérard eut un rugissement qui exprimait le
tumulte effrayant de sa pensée. Pendant quelques minutes, il
demeura immobile, tremblant, la sueur au front.
– Je vous pardonne, dit-il, de m’avoir
affirmé que Lise était morte, tandis qu’elle est
vivante !…
– Je vous l’affirme. Je conçois votre
joie… le contraire ne serait pas naturel… Quel frère ne se
réjouirait d’apprendre que sa sœur n’est pas morte ?
Un nuage passa sur le front de Gérard, fugitif
et rapide comme ces vapeurs qui se dissipent à peine formées.
– C’est bien cela, dit-il. Quoi de plus
naturel ? Un frère… une sœur… Et où est-elle ?…
– Demandez-le à la baronne d’Anguerrand.
Mais elle ne vous dira rien. Ou bien elle inventera une
fable : que Lise s’est sauvée… qu’elle ne sait plus… que
sais-je ! Tenez, si vous voulez vous confier à moi, je me fais
forte de retrouver la petite…
– Vous ? haleta Gérard.
– Moi. Et pourquoi pas ?
– Comment ferez-vous ?
– C’est mon affaire, dit La Veuve avec un
mystérieux sourire. Mais si vous voulez venir dans un mois jour
pour jour au rendez-vous que je vais vous assigner…
– Écoutez ! interrompit soudain
Gérard.
– Quoi ? fit La Veuve sans frémir,
sans pâlir, mais en elle-même éclata une formidable malédiction, et
en même temps, par un mouvement d’apparente maladresse, elle
renversa une chaise.
– Écoutez donc ! gronda Gérard.
Cette voix qui appelle… oh ! cette voix !…
– Vous êtes fou ! dit La Veuve. Vous
croyez donc toujours qu’on est à votre poursuite ?… Tenez,
passons dans les jardins… et au surplus, il vaut mieux vous en
aller par là…
– Misérable sorcière ! tais-toi, ou
je t’étrangle ! rugit Gérard. Cette voix ! je te dis que
c’est la sienne !…
– Georges !… Georges !… Est-ce
donc toi !…
– Lise ! Lise ! hurla Gérard
délirant. Où es-tu ?…
Me voici !…
La Veuve jeta une clameur déchirante, comme si
on lui arrachait le cœur. Elle se jeta devant l’escalier. Gérard la
saisit par les deux épaules, la secoua un instant, et, d’une
violente poussée, l’envoya rouler au fond de la chambre. En
quelques bonds, il fut au pied de l’escalier, vit la porte de la
salle basse…
– Fermée ! rugit-il. Oh ! je
l’enfoncerai !… Lise !…
Je suis là !…
– Georges ! répondit la voix faible
de Lise.
– Attends ! attends !
De nouveau il se rua dans l’escalier et se
retrouva dans la pièce du haut à l’instant où La Veuve se relevait,
le visage ensanglanté par une large balafre.
– La clef ! râla Gérard en la
saisissant à la gorge. La clef ! ou tu es morte !…
La Veuve darda sur lui un regard mortel ;
puis, comprenant qu’elle était à la merci de cet homme et que rien
ne pouvait pour le moment réparer l’irréparable événement qui
venait de se produire, elle tira la clef de sa poche, et, sans un
mot, la laissa tomber à ses pieds…
Quelques instants plus tard, Gérard était
devant Lise. Il ouvrit ses bras. Et à ce moment, quelle que fût
l’âme de cet homme qui vivait hors de toutes les lois, il ne put
s’empêcher d’hésiter.
Au lieu des paroles de passion qui
bouillonnaient dans sa pensée, d’une voix faible, il laissa tomber
ces pauvres mots :
– Valentine… ma pauvre sœur…
Lise alla à lui une flamme de bonheur intense
transfigurait son visage… Lentement, doucement, elle mit ses deux
bras autour du cou de Gérard, elle appuya sa tête sur son épaule et
murmura :
– Je ne m’appelle pas Valentine… je
m’appelle Lise…ô Georges… tu n’es pas mon frère… tu es mon époux
bien-aimé… je puis t’aimer sans honte !…
Gérard tressaillit d’épouvante. Sa première
pensée fut que la raison de Lise, ébranlée, sombrait dans la
folie.
– Eh bien ! oui ! balbutia-t-il
en la serrant nerveusement dans ses bras. Mais ne songe à rien de
tout cela en ce moment… viens… fuyons…
– Oui, oui, fuyons… Oh !
Georges !
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