Fleurs de Paris
par Charlot,
n’avait pas fait d’objection. Lorsqu’elle avait su qu’il ne fallait
pas toucher aux vingt-cinq mille qu’elle gardait sur elle,
Rose-de-Corail n’avait élevé aucune réclamation. Si Jean Nib lui
avait dit de jeter au feu ces vingt-cinq billets bleus, elle eût
obéi sans hésitation. Elle ne comprenait pas très bien pourquoi
Jean Nib, misérable, mal vêtu, mangeant à peine à sa faim, ne
voulait pas toucher à cette fortune ; peut-être, d’ailleurs,
ne le comprenait-il pas lui-même. Mais Rose-de-Corail ne cherchait
pas à comprendre ; elle obéissait, voilà tout. Jean Nib était
son dieu. Elle mettait toute la force et toute l’ingéniosité de son
esprit à veiller sur lui, car Jean Nib était d’une imprudence
exorbitante. Simplement, elle souffrait quand il n’était pas près
d’elle.
En la quittant pour aller au rendez-vous
nocturne de La Veuve, Jean Nib se contenta de lui dire que, sans
doute, il rentrerait avec de l’argent. Il assura qu’il serait de
retour vers six heures du matin.
Demeurée seule, Rose-de-Corail s’installa près
d’une chandelle, à raccommoder ses nippes ; elle avait le
souci de la propreté, et, si mal vêtue qu’elle fût, paraissait
toujours accorte. De temps à autre, elle levait les yeux vers la
porte du fond de la pièce. Elle était solidement fermée. Derrière
cette porte, Rose-de-Corail entendait un pas lourd, lent et
monotone : c’était le baron Hubert d’Anguerrand qui allait et
venait. Il n’était pas difficile à surveiller. Depuis qu’on l’avait
amené là, il n’avait pas fait une tentative pour reconquérir sa
liberté…
– Drôle de type ! songeait
Rose-de-Corail. C’est un richard, un de la haute. Qui sait si Jean
Nib ne veut pas le faire casquer ? Charlot donnait cent mille
francs pour dégringoler le pante… le pante en donnera peut-être le
double… le triple… pour être relâché… Mais si jamais il tombe dans
les griffes de La Veuve !…
Le bruit des pas s’arrêta tout à coup :
Hubert d’Anguerrand venait de se jeter sur le petit lit qui avait
été aménagé pour lui.
– Le voilà qui va dormir, continua
Rose-de-Corail. Il a tout de même de l’estomac !… Quelle heure
qu’il peut être ?…
La nuit était profonde, le silence, aux
environs, était absolu. La triste chambre où Rose-de-Corail
travaillait était obscurément éclairée par une chandelle qui se
mourait.
Soudain la chandelle s’éteignit ; la
chambre demeura plongée dans les ténèbres. Rose-de-Corail ne bougea
pas.
– La camoufle est morte, songea-t-elle.
Et je n’en ai pas d’autre. Bah !… il doit être au moins cinq
heures. Dans une heure ou deux au plus, Jean Nib sera ici… Que
fait-il, maintenant ?
Brusquement, elle eut un tressaillement et se
leva toute droite.
Une sorte de lumière blafarde avait peu à peu
pénétré dans la chambre à travers les contrevents mal joints.
Rose-de-Corail courut à la fenêtre, l’ouvrit et vit alors qu’il
faisait grand jour.
– Ah ! ça, gronda-t-elle, il est au
moins huit heures…
À midi, Jean Nib n’était pas rentré.
Rose-de-Corail fit une toilette sommaire,
c’est-à-dire qu’elle ramena d’un tour de main les splendides
torsades de sa chevelure, revêtit la jupe qu’elle avait raccommodée
dans la nuit, jeta un fichu sur ses épaules et sortit en
grondant :
– S’il lui est arrivé malheur… malheur à
ceux qui en sont cause !
Elle portait à la main un petit sac en soie
noire rattaché à son poignet par les rubans ; dans le sac, il
y avait son mouchoir, et, sous le mouchoir, un poignard. Une
demi-heure plus tard, elle était chez La Veuve.
La Veuve n’était pas chez elle !
Patiente et forte dans le malheur qu’elle
pressentait, Rose-de-Corail se mit en faction dans la rue
Letort.
– C’est La Veuve qui a poussé Jean Nib,
songeait-elle. Il faudra qu’elle me dise où il est, sinon…
Elle tâtait son poignard à travers la soie du
sac. Par moment, elle grelottait, et parfois d’ardentes bouffées de
chaleur montaient à son front. Le soir arriva sans qu’elle eût
songé à prendre la moindre nourriture. La Veuve n’avait pas
reparu.
Quand elle vit qu’il faisait nuit,
Rose-de-Corail fut tout à coup frappée par cette idée que Jean Nib,
retenu par un incident quelconque, avait dû arriver à la masure du
Champ-Marie quelques instants après son départ, et que maintenant
il la cherchait…
– Étais-je
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