Hasdrubal, les bûchers de Mégara
Oroscopa, je fis
venir dans la région des ouvriers de nos arsenaux pour y constituer dans le
plus grand secret d’importants stocks d’armes dont je comptais me servir pour
repousser vos attaques ou celles des Romains. Quand la tâche de ces hommes fut
terminée, au lieu de les récompenser comme ils le méritaient, je les ai fait
tous empoisonner pour m’assurer de leur silence. J’ai commis cet abominable
forfait au nom de ma cité et il était dans l’ordre des choses que celle-ci
reçoive des dieux le châtiment de cette mauvaise action. Baal Hammon a agi par
ton intermédiaire et il a infligé à mes soldats et à mes mercenaires le sort
que j’avais réservé à mes ouvriers. Il serait donc sacrilège de ma part de t’en
vouloir.
— On
t’accuse souvent d’impiété. Je constate que cela n’est pas le cas et je m’en
réjouis. Pour ma part, je suis convaincu, moi aussi, que les dieux me
punissent, moi et mes frères, de nos actes et que, pour ce faire, ils ont
envoyé les Romains sur ces rivages. Ils se comportent comme s’ils étaient déjà
les maîtres de notre royaume et nous donnent des ordres comme si nous étions
non point leurs alliés mais leurs sujets ou leurs esclaves.
— Tant
que vous étiez les seuls sur lesquels ils pouvaient compter, ils vous ont
respectés et comblés de cadeaux. Aujourd’hui, ils ont conclu avec les cités
puniques de la côte qui nous ont trahis des traités et vous ne leur êtes plus
indispensables. Ils vous le font sentir et ce n’est qu’un début. Quand ils en
auront fini avec Carthage, ils se retourneront contre vous et annexeront vos
domaines pour y installer leurs soldats et leurs colons. Sache que, si la cité
d’Elissa est détruite et livrée à la pioche des démolisseurs, Cirta connaîtra
peu après le même sort.
— J’en
suis bien conscient et c’est pour cela que j’ai souhaité te rencontrer. Je suis
mandaté par mon père et je parle en son nom. Il est temps, grand temps, de
mettre un terme à notre brouille. Nous sommes disposés à combattre à vos côtés
contre les Fils de la Louve mais nous souhaitons savoir comment le Conseil des
Cent Quatre récompenserait ce changement d’attitude de notre part.
— De
façon très généreuse. Tu sais que la guerre a commencé entre nous à cause des
Grandes Plaines et des provinces dont vous vous êtes emparés par traîtrise. Si
vous garantissez à nos propriétaires la jouissance de leurs biens, nous sommes
prêts à vous céder ces territoires. En échange, vous devrez renoncer à vos
prétentions sur les Emporia et nous autoriser à fonder des comptoirs le long de
vos côtes. De plus, Masinissa se fait vieux et nous veillerons à ce que le
meilleur de ses fils, toi en l’occurrence, lui succède sur le trône.
— Puis-je
considérer que ces promesses engagent ta ville ?
— Mon
père siège à la tête du Conseil des Cent Quatre et je ne crois pas qu’il
pourrait revenir sur elles. Nous tenons trop à votre alliance et point
uniquement en raison des circonstances présentes. Vous, les Numides, vous nous
avez une première fois sauvé la vie, il y a très longtemps de cela, en offrant
l’hospitalité à notre reine Elissa et à ses compagnons. Carthage a été fondée
sur le territoire que vous nous avez concédé et je suppose que vous avez
renoncé à vos médiocres calculs sur la taille exacte de la peau de bœuf
utilisée pour le délimiter. Aujourd’hui, alors que le plus implacable de nos
ennemis se trouve à nos portes, vous nous proposez de disperser ses légions.
Comment pourrions-nous vous manifester de l’ingratitude ? Jadis, ton père
a combattu à côté d’Hannibal et de ses frères. Il me tarde d’expérimenter cette
fraternité. Dès mon retour à Hadrim, j’enverrai un messager à Mutumbaal et tu
recevras sa réponse avant le début de la nouvelle lune. Que tes armées se
préparent à marcher sur Utique !
Pour fêter
notre réconciliation, Gulussa nous offrit le soir même un banquet somptueux.
Qu’il ait songé à venir avec des vivres en abondance montrait que sa décision
avait été prise avant même notre rencontre. À la nuit tombée, il parut en
compagnie de sa maîtresse, Arishat, à laquelle je devais d’avoir été libéré des
prisons de Carthage. Lors de notre première et brève rencontre nocturne sur les
quais du port marchand, j’avais à peine pu distinguer ses traits. Cette fois,
l’évidence me sauta aux yeux. C’était une
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