Hiéroglyphes
rejeta sa lame rougie.
« C’est
affreux, ce qu’ils nous font faire !
— Si
j’ai bien compris, forgeron, c’est toi qui as amené
ta frangine ! »
Mieux
armée, la foule nous aurait rejoints et exterminés
jusqu’au dernier. Mais rares étaient les balles qui
sifflaient encore, alentour, cette petite chanson maléfique
assez terrible pour paralyser le plus brave, s’il prend le
temps d’y penser. On dégringola l’escalier de
l’enceinte pour trouver le portail au Fumier barré et
gardé par une escouade de janissaires, cimeterre au poing.
Au-dessus de nous, les remparts regorgeaient de musulmans hurleurs et
déchaînés qui n’avaient pas encore renoncé
à nous prendre.
« Dans
le quartier juif, expira Farhi. Notre dernière chance ! »
L’alarme
descendait à présent des minarets, et les cloches des
églises sonnaient à tout rompre. On avait réveillé
la ville entière. Des gens sortaient dans les rues en criant
n’importe quoi, les chiens aboyaient, les moutons bêlaient.
Une chèvre passa près de nous, folle de terreur. Farhi,
presque mort sur pied, ne nous en conduisit pas moins jusqu’à
la synagogue Ramban et à la porte de Jaffa, la horde toujours
à nos trousses avec ses torches et ses clameurs. Même si
nous avions pu recharger une fois encore, un seul tir de plus
n’aurait pas arrêté cette foule bien décidée
à châtier notre audace d’avoir violé le
dôme du Rocher par les voies souterraines. Si personne ne
volait à notre secours, nous étions perdus d’avance.
À
l’adresse des juifs anxieux qui se déversaient dans les
rues, Farhi vociféra :
« Ils
veulent brûler les synagogues Ramban et Yohanan ben Zakkai.
Alertez des alliés chrétiens. Les musulmans sont sur le
pied de guerre !
— Les
synagogues ! Sauvegardons nos temples sacrés ! »
Une
foule de juifs se rua à contresens pour enrayer l’invasion
de cette racaille vomie par leur quartier satanique. De nombreux
chrétiens les rejoignirent afin que soit épargnée
leur église du Saint-Sépulcre. La foule heurta la
foule. En quelques minutes, ce fut le chaos.
Farhi
avait disparu.
J’attrapai
le bras de Jéricho.
« On
se sépare ! Toi et Miriam, vous vivez ici. Rentrez chez
vous ! »
Il
secoua la tête.
« J’ai
entendu des musulmans crier mon nom. Ils m’ont reconnu. On ne
peut plus rester à Jérusalem. »
Son
regard m’assassinait.
« Ils
vont piller et brûler ma maison ! »
J’étais
atterré.
« Alors,
emportez ce que vous pouvez et gagnez la côte. Smith est en
train d’organiser la défense d’Acre. Allez
chercher protection auprès de lui.
— Venez
avec nous, supplia Miriam.
— Non.
Vous deux, vous êtes nés ici. Vous avez une chance de
passer inaperçus. Pas moi ni les Anglais. On est aussi voyants
que des bonshommes de neige en juillet ! »
Je
pressai mes séraphins dans les mains de Miriam.
« Gardez-les-moi
de côté jusqu’à notre prochaine rencontre.
Nous autres Européens, on va se planquer et attendre la nuit
prochaine. En leur fournissant une fausse piste pour vous donner le
temps de filer. On se retrouvera dans l’enceinte d’Acre.
— J’ai
sacrifié ma maison et ma réputation pour un repaire
vide ! dit amèrement Jéricho.
— Il
y avait quelque chose dedans, et tu l’as compris. La seule
question, c’est où est-ce à présent ?
Quand on le trouvera, on sera riches. »
Un
peu d’espoir se mêla à sa détresse.
« Tu
le crois vraiment ?
— Partez
tous les deux avant qu’il soit trop tard pour Miriam. »
Tentwhistle
me tirait par la manche.
« Allons-y,
nous aussi, avant qu’il soit trop tard pour nous tous ! »
L’heure
de la séparation avait sonné. Je regardai s’éloigner
le frère et la sœur.
« On
trouvera, je vous le promets ! »
Les
Anglais et moi, on cingla vers la porte de Sion. En me retournant une
dernière fois, je vis que Miriam et Jéricho n’étaient
plus nulle part, engloutis par la foule comme deux épaves sur
une mer démontée. On continua tant bien que mal, dans
la direction opposée. Petit Tom, avec son bras blessé,
ne pouvait pas courir, mais faisait bonne figure pour ne pas nous
retarder. On passa dans le quartier arménien, d’où
on poussa jusqu’à la porte. Aucun soldat en vue. Appelés
ailleurs pour juguler l’émeute ? Notre premier coup
de chance au sein du chaos. On déboucla la porte, on écarta
le battant, on sortit en terrain découvert. Le ciel
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