Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
l’en précipiter lui-même (25 août).
Les premiers lauriers de cette victoire furent pour les
représentants de la Bretagne, malgré tous les efforts de Necker. Le
dimanche 31 août, les cinquante-trois Bretons et leurs vingt-quatre
amis, qu’ils venaient d’arracher de la Bastille, se présentaient
dans le grand salon de Versailles et remettaient au roi lui-même le
mémoire qui contenait leurs remontrances. La délivrance des
nouveaux martyrs de la liberté bretonne fut célébrée par des fêtes
nationales dans toute leur province, comme naguère celle de La
Chalotais et de ses compagnons.
Le 24 septembre, le parlement de Paris,
triomphant par les Bretons, fit sa rentrée et se laissa glorifier
en leurs personnes. Le 10 mai, celui de Rennes recevait les
félicitations publiques.
Mais le jour fatal d’une autre lutte était
venu. Victorieuses en commun de la monarchie, la noblesse et la
bourgeoisie se retrouvaient face à face avec leurs rivalités
implacables ; toutes les deux avaient pris pour devise :
Vaincre ou mourir pour la liberté !
La liberté, pour
la noblesse, c’était le maintien des franchises bretonnes, dont
faisaient partie ses privilèges ; et la liberté, pour la
bourgeoisie, c’était l’abolition de ces privilèges, même aux dépens
des franchises bretonnes. La grande députation était encore à
Paris, que déjà la division éclatait en Bretagne. Vingt, libelles
persuadèrent au tiers que la noblesse le dupait sous le masque de
la nationalité, qu’un grand complot se tramait contre lui entre
l’Église et les gentilshommes, et que les plus dangereux
instruments de ce complot étaient le parlement et la commission des
états. Une immense réaction de la bourgeoisie contre le parlement,
si aimé quelques jours auparavant, s’opérait ; elle inaugurait
cette longue série de contradictions dont se compose la triste et
monotone histoire des révolutions. Le 16 et le 17 août, l’émeute
commençait à gronder dans Quimper : on avait d’abord brûlé en
effigie les principaux membres du parlement ; l’enlèvement des
grains par les accapareurs vint compliquer encore ces désordres à
Saint-Brieuc, à Morlaix, à Pont-l’Abbé, à Lamballe. Les saturnales
de Paris furent imitées à Rennes. À mesure que la fièvre
révolutionnaire s’emparait du peuple, il montrait à quels excès
pouvait aller son délire.
Enfin arrivèrent les états de 1788-9, qui
furent les derniers états de Bretagne et le premier acte de la
révolution. C’est de Nantes que partit le premier manifeste de
l’insurrection bourgeoise, de même que la première étincelle de
l’insurrection populaire en était partie sous Louis XIV.
Depuis ce moment, les notables et les bourgeois de toutes les
villes de Bretagne regardèrent comme acquis le droit de s’assembler
et de délibérer sur leurs intérêts : telle fut l’origine des
clubs révolutionnaires. Presque tous les pamphlets du tiers
sortaient de Nantes. Telles furent les dispositions violentes dans
lesquelles se réunirent les derniers états de Bretagne. Le vent de
la révolution agitait toutes ces têtes, comme un océan près de se
déchaîner.
Les députés du tiers et leurs agrégés
s’assemblèrent à Rennes du 16 au 27 décembre, rédigèrent le cahier
de leurs réclamations, et jurèrent entre autres articles :
qu’on voterait, dès l’ouverture des états, par tête et non par
ordre, – que le tiers s’abstiendrait de délibérer
sur toutes
affaires quelconques
avant d’avoir obtenu l’égalité d’impôt et
de représentation. Ils avaient reçu ce mandat impératif de leurs
commettants, sous peine de désaveu formel.
Plus de neuf cents gentilshommes étaient
accourus à Rennes de tous les points de la province : ceux
mêmes qui se trouvaient hors de France avaient franchi mers et
monts pour être au rendez-vous.
Le 29, les trois ordres, leurs présidents en
tête, se rendirent séparément au couvent des Cordeliers, disposé
pour les recevoir. Le 30, après la messe du Saint-Esprit, ils
commencèrent leurs travaux par le vote du don gratuit et le
renouvellement des fermes. Puis le président du tiers,
M. Borie, se leva et dit à la noblesse et au clergé :
« Vous n’irez pas plus loin sans nous entendre ; »
et il propose de mettre en délibération les griefs de son ordre.
Noblesse et clergé demeurent sourds, et s’occupent des commissions
intermédiaires. Le 31, nouvelle sommation du tiers, tout
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