Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
serment, préférant la fuite
au parjure. Partout les électeurs et les clubistes envahirent les
cathédrales, profanèrent la chaire de vérité, parodièrent
sacrilégement les invocations au Saint-Esprit, et installèrent dans
le sanctuaire des hommes tarés, la plupart du temps à peine minorés
ou simples laïques. Si la religion constitutionnelle n’avait pas
été flétrie d’avance, de pareilles scènes auraient suffi pour la
tuer sous le ridicule. Aussi, loin de se fortifier, perdit-elle
chaque jour de ses rares adeptes. Beaucoup de districts remirent
indéfiniment les élections ecclésiastiques, au mépris formel de la
loi. Plusieurs curés, assermentés d’abord, se repentirent et
rétractèrent publiquement leurs erreurs.
Ce fut alors que la persécution jeta le
masque. Les prêtres qui avaient refusé le serment furent chassés de
leurs paroisses, arrachés de leurs églises, traqués dans leur
retraite et amenés devant les districts. Mais telle était
l’exaltation populaire en leur faveur, que la répression manqua
d’ensemble et acheva de compromettre la cause révolutionnaire.
Nulle part la fermentation des esprits ne fut plus vive, la
persécution plus flagrante et la résistance plus acharnée que dans
l’évêché de Vannes, cette pépinière des chouans. C’est de là que
partit véritablement, dès le 13 février 1791, le signal de la
grande insurrection de l’Ouest.
Aux motifs généraux qui allaient soulever les
populations de l’Ouest contre les derniers actes de la révolution,
et surtout contre la constitution du clergé, un motif particulier
se joignait dans le cœur des paysans bretons : c’était cet
instinct national qu’on avait vu jadis survivre chez les Celtes à
la domination romaine et aux invasions germaniques ; instinct
propre aux peuples de la Basse-Bretagne, et surtout aux habitants
du Finistère, du Morbihan et d’une grande partie des Côtes-du-Nord.
Là, non-seulement la révolution, dans ses bienfaits même, fut une
persécution pour des gens qui n’en avaient aucun besoin ; mais
elle réveilla toute leur farouche indépendance, lorsqu’elle voulut
mettre la main sur ces prêtres sortis de leurs chaumières, et qui
leur prêchaient la loi du Christ dans la langue natale ; sur
ces héritiers des saints qu’ils invoquaient depuis le berceau
jusqu’à la tombe, sur ces successeurs des évêques et des curés qui
avaient été les premiers et les derniers champions de leurs
franchises. Dans le Morbihan, plus que partout ailleurs, la
noblesse et le clergé s’entendaient et exerçaient sur tout le pays
une influence d’autant plus irrésistible qu’elle était plus
salutaire et plus méritée.
Dès le mois de juillet 1790, les électeurs
primaires avaient demandé la conservation de leur ancien prélat,
Mgr Amelot. Assuré ainsi de l’appui des petits et des grands,
il refusa non-seulement de jurer la constitution, mais de sortir de
son diocèse. Son clergé en masse suivit son exemple, et
l’administration resta paralysée à Vannes, n’osant affronter
l’indignation des campagnes, que quelques violences cependant
firent bientôt éclater. Un jour, les paysans de Sarzeau et des
communes environnantes s’assemblèrent au nombre de plus de trois
mille, à la voix du tocsin de leurs paroisses (février 1791). À ces
hommes il fallait un chef rempli de la même foi qu’eux : entre
tous les gentilshommes du pays, ils choisirent le seigneur de
Sarzeau, le comte de Francheville du Pélinec, ancien officier de
marine, chargé d’ans et couvert de blessures, mais encore plein de
force et de courage, et tout à fait digne d’ouvrir la carrière aux
La Rochejacquelein et aux Cadoudal. – Le 13 février, il marchait
sur Vannes avec ses trois mille paysans.
Si cette première expédition eût réussi, toute
la Bretagne et toute la Vendée se levaient peut-être deux ans plus
tôt et vingt fois plus redoutables. Maître de Vannes,
M. de Francheville l’était de Lorient et de
Quimper ; le tocsin, se propageant de clochers en clochers,
soulevait trois cent mille paysans, et les cinq départements de
l’Ouest arrêtaient brusquement la révolution. Mais, prévenus par un
espion, les administrateurs de Vannes eurent le temps d’appeler à
leur secours les volontaires de Lorient et le régiment de Walsh,
qui, laissant venir leurs ennemis indisciplinés, les enveloppèrent
et les mirent bientôt en déroute. Cinquante restèrent sur le champ
de
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