Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
bataille, les autres regagnèrent leurs clochers ; les
prisonniers furent livrés à la rigueur des lois, et le pays, que
leur triomphe eût fait lever en masse, tomba le lendemain dans la
terreur. – Le département releva la tête, et la persécution s’y
trouva organisée par la société des Amis de la Constitution
improvisée à Vannes, et par trois commissaires envoyés sur les
lieux par l’Assemblée nationale. Mgr Amelot, accusé d’avoir
encouragé le soulèvement, fut cité et conduit à Paris par deux
gardes nationaux : M. de Francheville attendit une
meilleure occasion de reprendre l’épée, et on retrouve ses cheveux
blancs à tous les combats de la chouannerie, jusqu’en 1796, époque
à laquelle il se fit tuer pour sauver un jeune capitaine, léguant
son œuvre inachevée à son digne fils, au comte Desils et à Georges
Cadoudal.
La religion catholique était hors la loi, le
clergé proscrit, et cependant aucune force humaine ne pouvait faire
aller les nobles et les paysans du Morbihan à la messe des
jureurs.
Et les choses en étaient là, non-seulement dans
le Morbihan, mais dans toute la Bretagne, mais dans tout l’ouest de
la France.
Vers ce temps-là, Louis XVI résolut de
fuir une révolution qu’il ne pouvait dompter ; la fédération
du 14 juillet 1790 avait été son dernier jour d’illusion : il
prit la route de la frontière, et fut arrêté, comme on sait, à
Varennes le 21 juin 1791. La fuite et l’arrestation de
Louis XVI brisèrent le dernier frein de la révolution. Toutes
les fureurs qui se contenaient encore firent explosion. Les
Jacobins triomphaient ; Robespierre et Pétion allaient arriver
au pouvoir suprême. En Bretagne, comme ailleurs, la fuite de
Louis XVI avait exalté les passions. On n’hésita plus à faire
main basse sur les prêtres réfractaires. De leur côté, les
contre-révolutionnaires ne s’endormaient point : ils
adoptèrent pour signes de ralliement un ruban noir et un bonnet,
avec cette inscription :
Dum spiro, spero
(Tant que
je respire, j’espère). Il y eut des prises d’armes sur la Loire,
dans le Morbihan, aux châteaux de Préclos et de la Proutière.
M. de la Lézardière parut vers Machecoul, à la tête de
six cents villageois. Partout, sous prétexte de répression, les
âmes pieuses furent tourmentées, et les gens qui ne criaient pas
Vive la nation ! dénoncés aux districts. La commune de Lorient
dénonça le roi lui-même et tous les aristocrates en masse.
« Le temps des proscriptions est arrivé, » disait une de
ces proclamations sauvages. Les proscriptions, en effet, se
multiplièrent de toutes parte. Sur le simple vœu des Amis de la
Constitution, on visita, on désarma, on arrêta les châtelains, les
aumôniers, les étrangers eux-mêmes. Tous les prêtres non jurés
reçurent les chefs-lieux pour prison, et tout citoyen qui eut avec
eux des rapports fut livré à l’accusateur public. Alors
commencèrent à pleuvoir les dénonciations qui devaient faire tomber
tant de têtes ; toutes les mairies et tous les clubs en furent
inondés, et l’animosité générale se multiplia par les animosités
individuelles. Alors aussi la puissance envahissante des clubs
domina tous les pouvoirs publics. Les moindres bourgades avaient
leurs
Amis de la Constitution. La plupart
des clubs, avons-nous besoin de le dire, occupaient les couvents
d’où l’on avait chassé les moines et les religieux.
En Bretagne surtout et dans l’Ouest,
l’application de la Constitution devint de jour en jour plus
impraticable. Pour remanier ainsi de fond en comble
l’administration publique, il eût fallu la confiance et le concours
de tous les esprits sages… et l’on commença par les proscrire. Or,
presque tous les hommes de bien étant écartés, les affaires
échurent aux intrigants et aux brouillons. Des troubles, des
émeutes, des collisions douloureuses signalèrent les premiers
essais de la réalisation des rêves de la Constitution. Irritées de
leur propre impuissance, les administrations les plus modérées dans
le principe devaient aboutir à toutes les violences de
l’arbitraire ; elles devaient finir par trancher, à la manière
d’Alexandre, ce nœud gordien qu’elles ne pouvaient défaire :
c’est ce qui arriva dès la fin de 1791. L’amnistie prononcée le 14
septembre au sujet de la proclamation de la Constitution fut
révoquée ou violée partout, et la guerre reprit ouvertement entre
les patriotes et le
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