Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
barons ses deux fils
François et Pierre, encore enfants. Ce spectacle touchant, joint au
discours et aux pleurs de la duchesse, émut toute l’assemblée. La
délibération du conseil y fut unanimement approuvée, et tous les
membres des états firent serment de ne rien négliger pour la
délivrance de leur souverain.
Les soins et l’activité de la duchesse furent
enfin couronnés de succès. Cinquante mille volontaires se
présentèrent à la revue que passa Raoul de Coetquen, maréchal de
Bretagne, le 22 juin 1420, quatre mois après l’enlèvement de
Jean V. Avec ces troupes on alla assiéger Lamballe, qui était
regardé comme le centre de la domination des Penthièvres en
Bretagne. En peu de jours cette place fut emportée ; Guingamp,
Jugon, la Roche-Derrien, Châteaulin-sur-Trieu éprouvèrent le même
sort, et le château de Broon fut pris d’assaut et démoli.
Olivier de Penthièvre, en apprenant les
rapides progrès de l’armée de vengeance, supposa que la nouvelle de
la mort de Jean suffirait pour la dissoudre. Le crime en lui-même
lui eût peu coûté ; mais il était de sa politique de réserver
ce dernier coup pour une circonstance décisive ; en
conséquence il usa de stratagème. Il choisit un valet de la taille
à peu près du duc Jean, lui fit mettre les habits de ce prince, lui
couvrit les yeux d’un bandeau, et commanda de l’entraîner vers la
rivière, en feignant d’user de violence. Le valet, le long de la
route, fidèle à son rôle de victime, poussait des cris étouffés et
semblait résister aux soldats qui l’entraînaient : ceux-ci
disaient tout haut au peuple qu’ils allaient noyer le duc Jean par
ordre du comte Olivier. Ils dirent ensuite, après l’avoir caché,
que le cadavre du duc avait été retrouvé dans les filets d’un
pêcheur, du côté de Nantes. Mais cette supercherie n’eut aucun
succès ; et le peuple et l’armée, loin de perdre courage, n’en
poursuivirent leurs avantages qu’avec plus d’ardeur.
Le comte de Penthièvre et Jean son frère,
ayant appris ce qui se passait, entrèrent d’un air furieux, armés
d’une dague et d’une épée, dans la chambre du duc, qui était
toujours à Champtoceaux. Sans le saluer, ils lui annoncèrent
d’abord qu’ils avaient à lui parler. Le comte lui dit qu’il avait
appris que ses sujets avaient assiégé Lamballe ; mais qu’il
jurait que si le siège n’était levé au plus tôt, il le ferait
mourir. Il prononça en même temps les serments les plus horribles.
Jean de Penthièvre ajouta qu’il lui ferait couper la tête et la
mettrait sur la plus haute tour du château. Tous les deux, en
parlant ainsi, menaçaient du poing le malheureux duc, que toute son
énergie avait abandonné depuis sa captivité. Il leur répondit avec
douceur qu’il ne pouvait pas empêcher ce que ses sujets
entreprenaient pour sa délivrance, et qu’il ne leur avait donné
aucun ordre pour assiéger Lamballe. Le lendemain les deux
Penthièvres vinrent encore trouver le duc pour lui dire qu’on le
ferait mourir, lui, son frère et tous les seigneurs qui étaient
arrêtés, s’il ne donnait au plus tôt ses ordres pour faire lever le
siège de Lamballe ; qu’il pouvait en charger le chevalier Jean
de Kermellec, prisonnier comme lui dans ce château, et joindre aux
lettres qu’il écrirait quelque marque pour sa femme, afin qu’elle
ajoutât plus de foi à ce qu’il lui ferait dire ; lui répétant
avec des serments exécrables, en présence de Kermellec, que c’était
fait de sa vie si le siège n’était levé.
Mais les événements s’étaient accumulés.
Olivier apprit bientôt la chute de ses principales
forteresses ; il menaça alors le duc de le faire hacher par
morceaux, si l’on continuait d’assiéger et de prendre ses places.
Il se hâta d’enlever ses prisonniers, et de les conduire dans ses
châteaux du Poitou ; il les promena ainsi de Voudoynes à
Nouailly près La Rochelle, de Nouailly à Thors, puis à
Saint-Jean-d’Angely, au Couldray-Salbart, à Bressières, et les
ramena au château de Clisson. Il espérait dérober à leurs
défenseurs le secret de leur résidence ; et dans ces voyages
forcés il traitait ces malheureux princes avec une cruauté sans
exemple. Un carcan passé à leur cou soutenait une chaîne qui liait
leurs bras et leurs jambes.
Le siège de Champtoceaux ne tarda pas à
commencer : cette forteresse, assise sur une roche escarpée,
avait passé jusque-là pour
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