Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
avec une rapidité inconcevable, l’esprit de Maximin était
déchiré par les passions les plus violentes. On prétend qu’il reçut, non en
homme, mais en bête féroce, la nouvelle de la rébellion des Gordiens et du
décret solennel rendu contre sa personne. Trop éloigné du sénat pour lui faire
éprouver toute sa rage, il voulait, dans les premiers mouvements d’une fureur
aveugle, souiller ses mains du sang de son fils, de ses amis et de tous ceux
qui osaient l’approcher. Il s’applaudissait à peine de la chute précipitée des
Gordiens, lorsqu’il apprit que les sénateurs, renonçant à tout espoir de
pardon, avaient élu de nouveau deux princes dont il ne pouvait ignorer le
mérite. La vengeance était la dernière ressource de Maximin, et les armes
seules pouvaient lui procurer cette unique consolation : il se trouvait à
la tête des meilleures légions romaines, qu’Alexandre avait rassemblées de
toutes les parties de l’empire. Trois campagnes heureuses, contre les Sarmates
et contre les Germains, avaient élevé leur réputation, exercé leur discipline,
et augmenté même leur nombre, en remplissant leurs rangs d’une foule de jeunes
Barbares. Maximin avait passé sa vie, dans les camps ; et l’histoire ne
peut lui refuser la valeur d’un soldat, ni même les talents d’un général expérimenté [602] . Il était à
présumer qu’un prince de ce caractère, au lieu de laisser à la rébellion le
temps de se fortifier, se transporterait sur le champ des rives du Danube aux
bords du Tibre, et que son armée victorieuse, pleine de mépris pour le sénat,
et impatiente de s’emparer des dépouilles de l’Italie, devait brûler du désir
de terminer une conquête facile et lucrative. Cependant, autant que nous
pouvons en juger par la chronologie obscure de cette période [603] , il parait que
Maximin, retardé par les opérations de quelque guerre étrangère, ne marcha que
le printemps suivant en Italie. D’après la conduite prudente de ce prince, nous
sommes portés à croire que les traits farouches de son caractère ont été
exagérés par l’esprit de parti ; que ses passions, quoique impétueuses se
soumettaient à la force de la raison, et que son âme barbare avait quelques
étincelles du noble génie de Sylla [604] ,
qui subjugua les ennemis de Rome, avant de songer à venger ses injures
particulières.
Lorsque les troupes de Maximin, qui s’avançaient en bon
ordre, arrivèrent au pied des Alpes Juliennes, elles furent effrayées du
silence et de la désolation qui régnaient sur les frontières de l’Italie. Elles
trouvèrent partout les villages déserts, les villes abandonnées : les habitants
avaient pris la fuite à leur approche ; emmenant avec eux leurs troupeaux. Les
provisions avaient été emportées ou détruites, les ponts rompus ; enfin, il
n’existait plus rien qui pût servir d’asile à l’ennemi, ou lui procurer des
vivres. Tels avaient été les ordres des généraux du sénat, dont le sage projet
était de prolonger la guerre, de ruiner l’armée de Maximin par les attaques
lentes de la famine, et de l’obliger à consumer ses forces au siège des
principales villes d’Italie, abondamment pourvues d’hommes et de munitions.
Aquilée reçut et soutint le premier choc de l’invasion. Les
courants qui tombent dans la mer Adriatique, à l’extrémité du golfe de ce nom,
grossis alors par la fonte des neiges [605] ,
opposèrent aux armes de Maximin un obstacle imprévu : cependant il fit
construire un pont avec de grosses futailles artistement liées ensemble ;
et dès qu’il se fût transporté de l’autre côté du torrent, il arracha les
vignes qui embellissaient les environs d’Aquilée, démolit les faubourgs, et en
employa les matériaux à bâtir des tours et des machines pour attaquer la ville
de tous côtés. On venait de réparer à la hâte les murailles qui étaient tombées
en ruine pendant la tranquillité d’une longue paix ; mais le plus ferme
rempart d’Aquilée consistait dans la résolution des citoyens, qui tous, loin de
se montrer abattus, tiraient un nouveau courage de l’excès du danger, et de la
connaissance qu’ils avaient de l’implacable caractère de Maximin. Crispinuis et
Ménophile, deux des vingt lieutenants du sénat, et qui s’étaient jetés dans la
place avec un petit corps de troupes régulières, soutenaient et dirigeaient la
valeur des habitants. Les troupes de Maximin furent repoussées dans
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