Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
plusieurs
assauts, et ses machines brûlées par les feux que les assiégés faisaient pleuvoir
du haut de leurs murs. Le généreux enthousiasme des Aquiléens ne leur
permettait pas de douter de la victoire ; ils combattaient, persuadés que
Belenus, leur divinité tutélaire, prenait en personne la défense de ses
adorateurs [606] .
L’empereur Maxime, qui s’était avancé jusqu’à Ravenne pour
couvrir cette importante place, et pour hâter les préparatifs militaires,
pesait l’événement de la guerre dans la balance exacte de la raison et de la
politique. Il savait trop bien qu’une seule ville ne pouvait résister aux
efforts constants d’une grande armée, et il craignait que l’ennemi, fatigué de
la résistance opiniâtre des assiégés, n’abandonnât subitement un siège inutile,
et ne marchât droit à Rome. Le destin de l’empire et la cause de la liberté
auraient été alors remis au hasard d’une bataille ; et quelle armée
avait-il à opposer aux redoutables vétérans du Rhin et du Danube ? Quelques
troupes nouvellement levées parmi la jeunesse italienne, remplie d’une noble
ardeur, mais énervée par le luxe, et un corps de Germains auxiliaires, sur la
fermeté duquel il eût été dangereux de compter dans la chaleur du combat. Au
milieu de ces justes alarmes, une conspiration secrète punit les crimes de
Maximin, et délivra Rome des calamités qui auraient certainement suivi la victoire
d’un Barbare furieux.
Jusqu’alors le peuple d’Aquilée avait à peine éprouvé
quelques maux inséparables d’un siège : ses magasins étaient abondamment
pourvus, et plusieurs fontaines d’eau douce renfermées dans l’enceinte de la
place assuraient aux habitants des ressourcés inépuisables. Les soldats de
Maximin, au contraire, exposés à toutes les inclémences de l’air, désolés par
une maladie contagieuse, se voyaient encore en proie aux horreurs de la famine.
Partout aux environs les campagnes étaient dévastées, les fleuves souillés de
sang et remplis de cadavres : le désespoir et le découragement commençaient à
s’emparer des troupes ; et comme toute communication avait été
interceptée, elles se persuadèrent que l’empire entier avait embrassé la cause du
sénat, et qu’elles étaient destinées à périr sous les murailles imprenables
d’Aquilée. Le farouche Maximin s’irritait du peu de succès de ses armes, qu’il
attribuait à la lâcheté de son armée. Sa cruauté imprudente et désordonnée,
loin de répandre la terreur, inspirait la haine et le plus juste désir de
vengeance. Enfin, un parti de prétoriens, qui tremblaient pour leurs femmes, et
pour leurs enfants, enfermés prés de Rome dans le camp d’Albe exécuta la
sentence du sénat. Maximin, abandonné de ses gardes, fut assassiné [avril
238] dans sa tente avec le jeune César, son fils, avec le préfet Anulinus,
et avec les principaux ministres de sa tyrannie [607] . Leurs têtes,
portées sur des piques, apprirent aux habitants d’Aquilée que le siége était
fini : aussitôt ils ouvrirent leurs portes, et les assiégeants affamés
trouvèrent dans les marchés de la ville des provisions de toute espèce. Les
troupes qui venaient de servir sous les étendards de Maximin, jurèrent une
fidélité inviolable au sénat, au peuple et à leurs légitimes empereurs, Balbin
et Maxime. Tel fut le destin mérité d’un sauvage féroce, prive de tous les
sentiments qui distinguent un homme civilisé, et même un être raisonnable.
Selon le portrait qui nous en est resté, son corps était parfaitement assorti à
l’âme qui l’animait. La taille de Maximin excédait huit pieds, et l’on rapporte
des exemples presque incroyables de sa force et de son appétit extraordinaires [608] . S’il eût vécu
dans un siècle moins éclairé, la fable et la poésie auraient pu le représenter
comme l’un de ces énormes géants qui, revêtus d’un pouvoir surnaturel,
livraient au genre humain une guerre perpétuelle.
Il est plus aisé de concevoir que de décrire la joie
universelle qui éclata dans tout l’empire à la chute du tyran. On assure que la
nouvelle de sa mort parvint en quatre jours d’Aquilée à Rome. Le retour de
Maxime fut un triomphe. Son collègue et le jeune Gordien allèrent au devant de
lui ; et les trois princes, entrèrent dans la capitale, accompagnés des
ambassadeurs de presque toutes les villes d’Italie, comblés des présents
magnifiques de la
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