Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
reconnaissance et de la superstition, et salués avec des
acclamations sincères par le sénat et par le peuple, qui croyaient voir l’âge
d’or succéder à un siècle de fer [609] .
La conduite des deux empereurs répondit à l’attente publique. Ces princes,
rendaient la justice en personne, et la clémence de l’un tempérait, la sévérité
de l’autre. Les impôts onéreux établis par Maximin sur les legs et sur les
héritages furent supprimés, ou du moins modérés ; la discipline fut remise
en vigueur, et l’on vit paraître, de l’avis du sénat, plusieurs lois sages,
publiées par les deux monarques qui s’efforçaient d’élever une constitution
civile star les débris d’une tyrannie militaire. Quelle récompense
pouvons-nous espérer pour avoir délivré Rome d’un monstre ? demandait
un jour Maxime, dans un moment de confiance et de liberté. L’amour du sénat,
du peuple et de tout le genre humain , répondit Balbin sans hésiter. Hélas ! s’écria son collègue plus pénétrant, je redoute la haine des soldats, et les
suites funestes de leur ressentiment [610] .
L’événement ne justifia que trop ses appréhensions.
Durant le temps que Maxime se préparait à défendre l’Italie
contre l’ennemi commun, Balbin, qui n’avait point quitté Rome, avait été témoin
de plusieurs scènes sanglantes, et s’était trouvé engagé dans des discordes
intestines. La défiance et la jalousie régnaient parmi les sénateurs ; et
même, dans les enceintes sacrées où ils s’assemblaient, ils portaient,
ouvertement, ou en secret, les armes avec eux. Au milieu de leurs
délibérations, deux vétérans du corps des prétoriens, excités par la curiosité
ou par un motif plus coupable, eurent l’audace d’entrer dans le temple, et
pénétrèrent jusqu’à l’autel de la Victoire. Gallicanus, personnage consulaire,
Mécénas, ancien préteur, ne purent voir sans indignation cette insolence. Ils
jugèrent d’abord que ces soldats étaient deux espions. Aussitôt, tirant leurs
poignards, ils les firent tomber morts au pied de l’autel. Ils se présentèrent
ensuite à la porte du sénat, et exhortèrent imprudemment la multitude à
massacrer les gardes, comme les partisans secrets du tyran. Ceux d’entre eux
qui échappèrent à la première fureur du peuple, se réfugièrent dans leur camp,
où ils se défendirent avec avantage contre les attaques réitérées des citoyens,
soutenus par les nombreuses bandes des gladiateurs, qui appartenaient aux plus
riches de la ville. La guerre civile dura plusieurs jours, et, dans cette
confusion universelle il y eut beaucoup de sang répandu de part et d’autre.
Lorsque les canaux qui portaient de l’eau dans leur camp eurent été rompus, les
prétoriens furent réduits à la dernière extrémité : ils firent, à leur
tour, des sorties vigoureuses, brûlèrent beaucoup d’édifices, et massacrèrent
un grand nombre d’habitants. L’empereur Balbin essaya, par de vains édits et
par quelques trêves, de mettre fin à ces troubles. Mais, dans le moment que
l’animosité des factions paraissait éteinte, elle se rallumait avec une
nouvelle violence. Les soldats, ennemis du sénat et du peuple, méprisaient un
prince qui manquait de courage ou de moyens pour se faire respecter [611] .
Après la mort du tyran, son armée formidable avait reconnu,
plus par nécessité que par choix, l’autorité de Maxime, qui s’était transporté
sans délai au camp devant Aquilée. Dès que ce prince eut reçu des troupes le
serment de fidélité, il leur parla avec beaucoup de modération et de
douceur ; il leur reprocha moins qu’il ne déplora les affreux désordres
des temps, et il les assura que de leur conduite passée, le sénat se
rappellerait seulement la générosité avec laquelle ils avaient abandonné la
cause d’un indigne tyran, et étaient rentrés volontairement dans leur devoir.
Les exhortations de Maxime furent appuyées de grandes largesses ; et
lorsqu’il eut purifié le camp par un sacrifice solennel d’expiation, il renvoya
les légions dans leurs différentes provinces, se flattant que, fidèles
désormais et obéissantes, elles conserveraient sans cesse le souvenir de ses
bienfaits [612] .
Mais rien ne fut capable d’étouffer le ressentiment des fiers prétoriens.
Lorsqu’ils accompagnèrent les empereurs dans cette journée mémorable où ces
princes entrèrent dans Rome au milieu des acclamations universelles, la
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